L'équipe de France
d'Aimé Jacquet se trouve dans une situation comptable des plus
inconfortables à l'heure de défier la bande à Hagi sur sa pelouse de
Bucarest. Après avoir collectionné les matches nuls contre des
adversaires a priori prenables (Slovaquie, Pologne, Israël), faute
notamment à une inefficacité chronique, elle se trouve dans l'obligation
de l'emporter en Roumanie pour préserver ses chances de qualification
pour l'Euro anglais. Une pression maximale pèse sur les épaules des
Bleus, très critiqués dans les médias et encore traumatisés par le
cauchemar bulgare, et la tâche qui les attend s'annonce redoutable.
Invaincue
à domicile et première du groupe, la Roumanie, demi-finaliste de la
World Cup 94, baigne dans la confiance et compte bien enterrer les
derniers espoirs français. Lors du match aller à Geoffroy-Guichard, elle
avait fait mieux que résister et au final ramené un point précieux du
chaudron stéphanois. Les Roumains savent pertinemment qu'ils ont un
fameux coup à jouer face à une équipe de France rongée par le doute et
qui n'a signé qu'une seule victoire à l'extérieur en match officiel
depuis la nomination de Jacquet en...Azerbaïdjan. Sur bien des plans, ce
match du 11 octobre 1995 sent le traquenard à plein nez pour les
partenaires de Deschamps.
Afin de contrarier les techniciens adverses et d'empêcher Gheorghe Hagi
d'orienter le jeu à sa guise, Jacquet aligne trois milieux défensifs
(Deschamps, Guérin et Karembeu), censés rentrer dans le lard des
artistes et gagner la bataille du milieu. En l'absence de Laurent Blanc,
c'est Frank Leboeuf qui officie en défense centrale aux côtés de
Desailly, les flancs de la défense étant gardés par Di Meco, un des
hommes de confiance du sélectionneur et capitaine du jour, et Angloma.
Lama a dû déclarer forfait et laisser les cages à Barthez, qui honore sa deuxième sélection. Youri Djorkaeff,
qui a sauvé les Bleus d'une défaite au Parc contre la Pologne en août
et suscite beaucoup d'attentes, est associé à Zidane d'entrée, Dugarry
se voyant confié la pointe de l'attaque.
Deschamps
et Angloma, qui comptent respectivement 43 et 27 sélections, font
figure de vieux routiers dans une équipe où tous leur coéquipiers ont
été appelés moins de vingt fois sous le maillot bleu. Côté roumain,
c'est du grand classique: Popescu et Prodan en défense centrale, le trio
Munteanu-Hagi-Lupescu à la baguette, Dumitrescu et Lacatus sur le front
de l'attaque. Huit des onze joueurs qui composent l'équipe roumaine ont
débuté le huitième de finale contre l'Argentine à Pasadena.
Les
Bleus attaquent la rencontre pied au plancher et font vaciller les
certitudes roumaines dès les premières minutes. Le plan tactique mis en
place par Jacquet fonctionne parfaitement, et c'est fort logiquement que
ses hommes ouvrent le score à la demie-heure de jeu sur un centre de la
gauche de Zidane coupé par un Karembeu en mode mort de faim. Dix
minutes plus tard, la France double la mise sur un mouvement collectif
d'école: jaillissement de Desailly qui décale impeccablement Guérin,
dont le centre trouve Dugarry. La frappe du Bordelais est repoussée par
Stelea dans le pieds de Djorkaeff, toujours là où il faut quand il le
faut.
Au
final, les deux équipes se qualifieront pour l'Euro 96, où elles se
retrouveront d'ailleurs pour leur premier match de poule le 10 juin 1996
à Newcastle, la victoire revenant une nouvelle fois à la France grâce à
un but de Dugarry. La victoire de Bucarest, obtenue de façon brillante
dans un contexte difficile, est à juste titre considérée comme un moment
fondateur: celui où, dos au mur, une génération talentueuse et
prometteuse a pris conscience de ses possibilités et refusé l'échec. Si
les Bleus avaient perdu ce jour-là, ils auraient raté le rendez-vous
anglais (qui les a d'une certaine manière préparé à leur Coupe du Monde
et leur a permis d'acquérir un certain nombre de certitudes, notamment
sur le plan défensif) et Jacquet aurait sûrement pris la lourde.
C'est
quand on connaît la fin de l'histoire qu'on mesure l'importance
capitale de cette rencontre, au cours de laquelle les deux leaders
techniques Djorkaeff et Zidane se montrèrent décisifs, faisant taire les
doutes quant à leur capacité à tirer l'équipe vers le haut lors des
matches à enjeu. Cruciale dans l'histoire récente de la sélection, le
succès en terre roumaine a validé les choix de Jacquet et garanti une
continuité dans la progression de son groupe, qui a abouti au résultat
que l'on sait.
11 octobre 1995, Stade National, Bucarest: Roumanie - France 1-3
Buts: Karembeu (29), Djorkaeff (41), Zidane (73), Lacatus (52)
Roumanie:
Stelea - Petrescu - Mihali (Lupu 46) - Popescu - Prodan - Selymes -
Hagi (Panduru 63) - Lupescu - Munteanu - Lacatus - Dumitrescu (Vladoiu
46)
France: Barthez - Di
Meco - Desailly - Leboeuf - Di Meco - Deschamps - Guérin - Karembeu -
Zidane (Thuram 85)- Djorkaeff (Lizarazu 75) - Dugarry (Madar 63)

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