D'un
point de vue esthétique, Alan Shearer était un joueur relativement laid
à voir évoluer: plutôt du genre rugueux à l'ancienne et accrocheur
façon fighting spirit, il savait jouer des coudes et des
épaules, pour ne pas dire d'autre chose, allumait des gros pétrons de
soudard et posait des coups de boule à faire pâlir Depardieu. Il n'avait
ni l'élégance d'un Bergkamp, ni la classe naturelle d'un Henry, ni la
filouterie d'un Van Nistelrooy, et il ne fallait pas attendre de lui
qu'il enroule son adversaire d'un contrôle orienté dos au but ou qu'il
trouve un partenaire d'une subtile passe de l'extérieur entre deux
défenseurs. Shearer ne savait faire qu'une chose sur un terrain: marquer
des buts.
Il
plantait aussi bien des pions moches que des frappes aberrantes, des
têtes rageuses, des tacles au troisième poteau, des volées de malade,
des tirs croisés à ras de terre, des plats du pied aux six mètres.
L'efficacité de ce buteur d'exception donnait des sueurs froides à
toutes les défenses du royaume et ses statistiques attestent de son
rendement hors normes au plus haut niveau: 248 buts en 413 matches de
Premier League, sept saisons à vingt pions ou plus, huit places parmi
les dix meilleurs buteurs sur une saison, trois Souliers d'Or, 30 buts
en 61 sélections. S'il ne possédait pas dix mille cordes à son arc, ses
points forts (puissance et précision de frappe, jeu aérien, précision,
placement, force physique) en faisaient un attaquant de classe mondiale.
Il
réussit l'exploit de dépasser à nouveau et pour la troisième fois
consécutive la barre des trente buts en 1995-96 pour conserver son
Soulier d'Or alors que son club entame sa dégringolade et finit
l'exercice à une très décevante treizième place. Le bilan comptable de
Shearer avec Blackburn laisse pantois: 96 buts en 117 matches de
championnat, soit un ratio but/match de 0,82. A l'été 1996, il est
l'homme que les grands clubs anglais s'arrachent, et c'est finalement
Newcastle qui emporte le morceau pour la somme record de quinze millions
de livres.
Le
choix de Shearer, qui tourne une nouvelle fois le dos à Manchester
United, s'explique assez aisément: le joueur est natif de Newcastle, et
les Magpies sont alors entraînés par Kevin Keegan, son idole absolue.
Pour le peuple blanc et noir, c'est le retour du fils prodigue, du working class hero
qui défendait indûment les couleurs d'un autre club: les choses
paraissent logiques et naturelles, dans une sorte de retour à la
normale. En changeant de maillot, Shearer n'a rien perdu de son
efficacité et trouve le chemin des filets à 25 reprises, remportant son
troisième titre consécutif de meilleur buteur et se voyant à nouveau
sacré meilleur joueur de Premier League.
Mais
Keegan fait ses valises en 1997, remplacé par Dalglish, à qui succèdent
Gullit, puis Robson, sans que les résultats du club ne décollent,
malgré une quatrième place en 2002 et une demi-finale d'UEFA perdue
contre Marseille en 2004. Shearer ne gagne rien avec son club de coeur,
mais devient une véritable légende locale en totalisant 206 buts en 404
apparitions entre 1996 et 2006. Malheureusement, c'est sur une blessure
aux ligaments du genou
gauche qu'il doit raccrocher une fois pour toutes les crampons, à 36
ans. Il lui aura manqué un trophée (il perd la finale de Cup en 1998
contre Arsenal) et davantage d'exposition sur la scène européenne pour
parachever un parcours exemplaire d'engagement et de fidélité.
Sous
le maillot aux trois lions, Shearer répondit toujours présent lors des
grands rendez-vous. Privé de World Cup en 1994, il signe en 1996 un Euro
remarquable, contribuant au très joli parcours de l'Angleterre sur ses
terres et finissant meilleur buteur du tournoi. En 1998, il plante un
coup de tête contre la Tunisie en poule et transforme un penalty en
huitièmes face à l'Argentine. Deux ans plus tard, à l'occasion de l'Euro
co-organisé par la Belgique et les Pays-Bas, c'est encore lui qui donne
la victoire aux siens face à l'ennemi héréditaire allemand,
victoire qui n'empêchera pas une piteuse élimination au premier tour.
Shearer doit alors faire face à l'éclosion d'Owen, labellisé petite
merveille du football anglais, et composer avec l'arrivée en sélection
d'Emile Heskey, qui ne possède pas le quart du huitième de son sens du
but mais dont Eriksson apprécie la puissance et le jeu en pivot.
Après
l'Euro 2000, à trente ans pile, Shearer décide d'annoncer sa retraite
internationale, et malgré des rumeurs en 2002 puis 2004, il ne reviendra
pas en arrière. Il a marqué 9 buts en 13 rencontres lors des tournois
internationaux auxquels il a participé et occupe la cinquième place au
classement des meilleurs réalisateurs de la sélection anglaise derrière
Charlton, Lineker, Greaves et Owen, et à égalité avec Finney et
Lofthouse. Parmi ces joueurs de légende, seuls Lotfthouse et Greaves,
footballeurs d'une autre époque, comptent moins de sélections que lui.
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