On s'attendait à un match âpre et
tendu entre l'Italie et l'Uruguay, et le moins que l'on puisse dire
est que les deux équipes n'ont pas déçu. Entre une Celeste qui ne
songerait vaguement à attaquer qu'avec trois pions dans le cornet et
dix minutes à jouer et une Squadra Azzurra le fessier entre deux
chaises parce que qualifiée en cas de match nul, les occasions
furent plus que rares et les attaquants pas franchement à la fête.
D'habitude, ce sont les Italiens qui gagnent au jeu de dupes et
passent à l'arrache, mais cette fois ils sont tombés, en quelque
sorte, sur plus italiens qu'eux: plus truqueurs, plus roublards, plus
accrocheurs, plus réalistes. Le but de Godin du dos, c'est Tassotti
ou Costacurta qui l'aurait planté dans les années 90: les temps
changent.
En première mi-temps, Pirlo et
consorts se sont efforcés à poser le jeu et maîtriser la chique,
sans grand succès, tandis que l'Uruguay faisait preuve d'un
attentisme stupéfiant pour une équipe obligée de l'emporter.
Pleine de panache, la Celeste s'est ruée à l'abordage après
l'expulsion ultra-sévère de Marchisio (il serait aussi prompt à
sortir Thiago Silva le type?), pour ne finalement trouver la faille
que sur corner, après une paire de parades de grande classe de
Buffon il est vrai. Il est aisé de critiquer après coup les choix
de Prandelli, mais sur le moment ses décisions parurent somme toute
assez logiques (sortie d'un Balotelli agaçant au possible et entrée
de Parolo pour tenir le coup au milieu et soulager la défense). Rien
ne prouve que la Squadra aurait marqué s'il avait persisté à
laisser deux pointes sur le terrain. Le sélectionneur a dû sentir
une certaine fébrilité chez ses joueurs et s'est peu à peu résigné
à jouer le nul. Que ceux qui n'auraient pas fait pareil lui jette la
première pierre.
Il se trouvera sûrement beaucoup de
grands connaisseurs pour se réjouir de cette nouvelle élimination
précoce de la Nazionale quatre ans après le fiasco sud-africain,
comme si l'Italie de Prandelli était la même que celle de Sacchi,
Maldini ou pire, Lippi. Certains ne se sont apparemment pas rendus
compte que le catenaccio était mort de sa belle mort, que, grâce à
la révolution culturelle et l'opération dépoussiérage menée par
Prandelli, la Squadra s'attachait à jouer au football et avait fait
de Pirlo, et non de Gattuso, son admirable maître à jouer.
A
l'occasion du dernier Euro, elle avait régalé son monde en
proposant un savoureux mélange de justesse technique et d'esprit
combatif qui l'avait conduit jusqu'en finale. Prandelli n'a jamais
cherché à éliminer ce qu fait l'essence du football italien (la
force mentale, une forme de dureté et de rugosité, un goût du
combat personnifié par des joueurs comme Chiellini et De Rossi) mais tenté de s'appuyer sur l'élégance de techniciens comme Verratti,
Thiago Motta, Montolivo (forfait pour ce Mondial).
Faut-il vraiment se réjouir de la
qualification de cet Uruguay ultra-sécuritaire, bâti pour ne
surtout pas approvisionner Suarez et Cavani et dont le milieu est
essentiellement constitué de bulldogs tatoués qui feraient passer
Nigel de Jong pour un hippie de la haute vallée de l'Aude?
Existe-t-il une quelconque morale (même si l'on sait le sport de
haut niveau totalement imperméable aux notions de bien et de mal, à
l'instar des époux Balkany) dans le fait de voir passer une équipe
dont la vedette se permet allègrement de mordre l'épaule de
Chiellini comme un vulgaire bifteck et finit tranquillement la
rencontre alors que Marchisio est déjà à la douche pour une simple
semelle?
Icing on ze cake et sommet d'aberration: Lugano qui se dit
déçu par le comportement de Chiellini, coupable d'avoir montré son
épaule à l'arbitre, comme si lui avait s'était toujours montré
irréprochable sur le pré. Commence déjà par courir le cent mètres
en moins de dix-sept secondes et à mettre du bleu au bout de tes
pompes et après, très éventuellement, tu te permettras hein.
Plus la compétition avance, plus elle
s'avère impitoyable pour les sélections européennes, l'Italie
figurant désormais aussi parmi la liste des victimes. Il semble de
plus en plus probable qu'une équipe sud-américaine soit sacrée et
que le Brésil ajoute comme prévu et pour la joie des petits et des
grands une sixième étoile sur son maillot. Tout le monde en fait
des caisses (et souvent à juste titre, soyons honnêtes) sur la
dimension spectaculaire de cette Coupe du Monde et son esprit
offensif mais au final, c'est le football militarisé et sans âme de
Scolari et Tabarez qui risque de triompher, pas celui que jouent les
Iniesta, Pirlo ou Modric.
Avec l'Italie et l'Espagne (soit les deux
finalistes du dernier Euro) hors course, un arbitrage
systématiquement plus qu'orienté, le public et la FIFA derrière eux et un Neymar décisif, on voit mal comment les Brésilos
pourraient se ramasser, même en étant aussi moches et affligeants
qu'ils l'ont été depuis le début du tournoi. Peu à peu, ce Mondial
se transforme en une chronique d'un cauchemar annoncé, celui du
sacre de la Seleçao.
Le Brésil et l'Uruguay incarnent une
forme de cynisme et de pragmatisme froid, tandis que la Colombie et
le Chili véhiculent les véritables valeurs du football
sud-américain: qualité technique, engagement, créativité,
mouvement, jeu au sol. Surtout, on a l'impression que ces deux
équipes se font plaisir quand elles jouent, et en procurent du même
coup. Les derniers esthètes et autres idéalistes du rectangle vert
doivent désormais prier pour une victoire finale de l'Allemagne,
éminemment joueuse et qui la mérite tant sur ces dernières années,
ou des Pays-Bas, même si Van Gaal a renoncé à la possession et
mise essentiellement sur le contre. Et la France, me
demanderez-vous ? Pour l'instant, elle en est au même stade que
la Grèce, et n'ira peut-être pas plus loin.

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