Cette Coupe du Monde est complètement
dingue. En l'espace de quelques heures, on a vu l'Italie se faire
taper fort logiquement d'ailleurs par le Costa Rica, avant d'assister
à un festival offensif des Bleus, auteurs de cinq buts dans un
tournoi mondial pour la première fois depuis 1958, c'est-à-dire une autre époque, un
autre football, celui des Kopa, Piantoni, Fontaine. Même la bande à
Platoche s'était arrêté à quatre pions contre l'Irlande du Nord en 1982. Pour ajouter à l'extraordinaire, ce sont
cinq buteurs différents qui se sont illustrés face à la Suisse,
même si Benzema peut en vouloir à l'arbitre de n'avoir pas accordé
le sixième (que les hommes au sifflet puissent encore s'étonner de
leur impopularité ne manque précisément pas de surprendre).
Au plus fort de la domination
française, on s'attendait littéralement à tout
devant son écran: une frappe enroulée du droit d'Evra dans le petit
filet, un slalom chaloupé de Giroud au cœur de la défense, une
ouverture pirloesque de Sissoko, un but de la tête de Valbuena sur
un corner frappé par lui-même, une remarque pertinente de Lizarazu.
Euphoriques, emballants, pleins de confiance après le succès face au Honduras et une entame de rêve, les hommes de Deschamps (qu'on
peut désormais surnommer «monsieur baraka», parce que le coup
tenté avec Sissoko hein bon voilà on se comprend) ont tout
simplement laminé une équipe helvète dépassée dans tous les
secteurs du jeu et qui ne doit ses deux buts qu'à un relâchement de ses adversaires.
Il s'avère compliqué de sortir un
joueur français du lot, tant il est vrai que tout a parfaitement
fonctionné et que chaque acteur a joué impeccablement son rôle. La
titularisation de Sissoko n'a pas vraiment affecté le rendement du
trident du milieu, dont les membres se sont partagés le travail :
Cabaye a poursuivi sur sa lancée dans un registre sobre, tout en
intelligence et en replacement, Sissoko a offert des solutions sur le
côté droit et joué les arrières latéraux bis en phase défensive,
et Matuidi a fait du Matuidi, bouffant du kilomètre, pressant sans
relâche, se projetant vers l'avant dès que possible et s'offrant
même un but qui était loin d'être tout fait. Blaise-à-tout-faire
fait désormais partie des tout meilleurs mondiaux à son poste, et
il n'a cessé de progresser depuis son arrivée à Paris. Pour
paraphraser Bubka au sujet de Lavillenie, jusqu'où s'arrêtera-t-il?
Ce qu'il est désormais convenu
d'appeler dans les milieux autorisés où l'on s'autorise à penser
«l'animation offensive» («le tableau noireu c'est uneu choseu
l'animationg une autreu», dixit Baup, une référence en matière de
jeu d'attaque) a une nouvelle fois donné entière satisfaction: les
trois larrons ont tous marqué dans des styles qui leur sont propres
et deux d'entre eux se sont même fendus d'un caviar. Comme on
pouvait le penser après les matches de préparation, la
configuration avec deux attaquants de pointe (dans laquelle Sissoko
semble devoir assumer le travail défensif supplémentaire que donne
au milieu l'absence de Griezmann) représente une vraie alternative
au 4-3-3 vu contre le Honduras. L'existence de ce plan B constitue
une bonne nouvelle de plus : en fonction du profil de
l'adversaire, Deschamps pourra opter pour l'une ou l'autre solution
ou opérer un changement tactique en cours de match.
Ne perdons pas de vue, pour tempérer
l'enthousiasme ambiant, que la sortie précoce de Von Bergen s'est
avérée une véritable bénédiction pour les Bleus. Tout au long du
match, la charnière made in Arsenal Djourou-Senderos a fait preuve
d'une incompétence proprement terrifiante à ce niveau, entraînant
tout le reste de l'équipe vers le fond (ce qui fait inévitablement
songer au titre de Bashung «Helvète underground»).Comment un défenseur aussi expérimenté que Lichtsteiner, modèle de rigueur avec la Juve, peut-il abandonner son couloir et laisser un improbable boulevard à Giroud sur un simple corner? Comment peut-on perdre aussi facilement la chique et s'exposer à un redoutable effet boomerang, comme ce fut le cas sur le but de Matuidi, qui assomma les troupes de Hitzfeld ?
Malgré les carences flagrantes des
Suisses (sixièmes au classement FIFA, la bonne blague), que les
observateurs auront forcément remarqué tant elles sautent à la
figure, il est certain que l'équipe de France n'est désormais plus
perçue de la même façon par la concurrence. Certains n'hésitaient
pas à placer les Bleus parmi les outsiders possibles avant le
tournoi, mais personne ne s'attendait à ce qu'ils présentent un
bilan aussi impressionnant après deux rencontres. On voit mal
comment la première place du groupe pourrait leur échapper, et
Deschamps va pouvoir faire souffler certains cadres contre l'Equateur
(Cabaye étant de toute façon suspendu). La forte probabilité
d'éviter l'Argentine en huitièmes rend la perspective d'un quart de
finale plus que crédible, même s'il convient de rester calme et de
boire frais (surtout de boire frais).
Nous parlions plus haut (nous nous
accordons le droit d'utiliser le «nous royal» cher au
Dude) de l'importance d'un plan B, et c'est précisément ce qui a
manqué aux Italiens contre le Costa Rica. Quand on aligne De Rossi,
Thiago Motta et Pirlo dans l'entre-jeu, trois superbes joueurs de
ballon mais disons limités sur le plan de la couverture de terrain,
il est indispensable de maîtriser la possession et d'imposer le
tempo, ce à quoi la Squadra n'est jamais parvenue. Les Italiens se
sont fait rentrer dedans par des Ticos gonflés à bloc et déterminés
à les bousculer, et ils n'ont simplement pas pu mettre leur jeu en
place. Prandelli a bien essayé d'apporter un surplus de vitesse et
de justesse dans la dernière passe en faisant entrer Insigne et
Cassano, mais à la mi-temps le doute avait déjà trop pénétré
les esprits.
Cette victoire inattendue du Costa Rica
a une double conséquence : l'élimination définitive de
l'Angleterre, pour qui on se faisait plus guère d'illusions, et
celle de l'Italie ou de l'Uruguay au terme du troisième match. Le
choc entre la Squadra et la Celeste pour la qualification s'annonce
électrique, et malgré toute l'admiration que l'on peut avoir pour
le parcours insensé du Costa Rica, on ne pourra s'empêcher de
regretter que le tournoi perde soit Pirlo, qui dispute son dernier
Mondial, soit Suarez, peut-être tout simplement le meilleur
attaquant du monde en ce moment. Monsieur Baraka, lui, ne peut que se
réjouir de ne pas être tombé dans ce groupe.

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