post-labels {display: none}

mercredi 2 décembre 2009

Ryan Giggs ou la classe faite homme

Vaine brique d’un mur joliment contourné, il vit en début de match le coup franc de Mario Basler finir au fond des filets de Schmeichel. Il écrasa dans les arrêts de jeu une frappe du droit aux seize mètres qui se mua en offrande pour Sheringham. Transporté par la joie d’une victoire d’autant plus renversante qu’elle semblait acquise à l’adversaire, il ne fit probablement que croiser les regards hébétés de Michael Tarnat ou Oliver Kahn, monstres de robustesse soudainement assommés, fixant d’un œil incrédule une coupe brandie par d’autres bras que les leurs. Peut-être essaya-t-il de glisser quelques mots de réconfort à Samuel Kuffour, le Basile Boli du Bayern, effondré sur une pelouse qu’il venait de marteler à coups de poings, perdu quelque part entre le désespoir et la rage. Ryan Giggs fut l’un des acteurs de ce concentré de dramaturgie sportive que constitua la soirée barcelonaise de 1999, et participa à nouveau dix ans après à une finale européenne avec son club de toujours, Manchester United.



Le Gallois appartient à une espèce en voie de disparition dans un sport où la tendance n’est guère franchement à la sédentarisation: celle des grands joueurs qui ont fait toute leur carrière dans un même club, au point d’en être devenu le symbole, pour ne pas dire l’incarnation. Ils se font rares, ces produits maison fidèles au blason qui se confondent tellement avec l’identité de leur équipe qu’on ne peut un seul instant les imaginer sous d’autres couleurs. Les Maldini, Zanetti, Xavi, Puyol, Gerrard ou Terry deviennent des exceptions au statut quasi-iconique à l’heure où les stars posterisées sur papier glacé aiment à changer d’air aussi souvent que de coupe de cheveux et font les choux gras d’une presse qui ne demande qu’à se perdre en spéculations quant à leurs destinations futures.

Moins nombreux encore sont les joueurs à avoir joué deux finales de C1 à dix ans d’intervalle avec le même club. Francisco Gento et ses 18 saisons passées au Real Madrid gagna sa première Coupe des Clubs Champions en 1956 et sa sixième en huit finales en 1966, à trente-trois ans. Dino Zoff et Roberto Bettega s’inclinèrent par deux fois 1-0 avec la Vieille Dame, face à l’Ajax en 1973 et Hambourg en 1983. Paolo Maldini fut du succès face au Benfica de Valdo en 1990 et de l’incroyable revers face à Liverpool en 2005. Son coéquipier Alessandro Costacurta connut deux victoires, en 1990 également et en 2003 contre la Juventus. Giggs est devenu le sixième joueur de l’histoire à réussir cet exploit, sachant que Paul Scholes était suspendu pour la finale face au Bayern.

A trente-cinq ans, le «Welsh wizzard» a été élu par ses pairs joueur de l’année 2008-2009 en Angleterre, titre honorifique en forme d’hommage rendu à une carrière marquée du sceau de la réussite et de la longévité. Depuis ses débuts à l’âge de dix-sept ans, Giggs a joué plus de 800 matches avec Manchester United aux côtés de Hughes, Cantona, Keane, Beckham, Yorke, Van Nistelrooy, Rooney et Ronaldo, battant le record de Charlton à l’occasion de la finale face à Chelsea. Il a accumulé dix titres de champion, quatre victoires en FA Cup et deux Ligues des Champions. Il est le seul joueur à avoir marqué au moins un but lors de chaque saison depuis la création de la Premier League, de même que dans douze campagnes consécutives de Ligue des Champions. Il n’a jamais été expulsé sous le maillot de United.

Giggs fut un dribbleur virevoltant au port toujours altier dans ses déboulés dévastateurs, un véritable surdoué doté d’une palette technique et d’un sens du contre-pied extraordinaires. Le genre de phénomène ondulatoire qui semble aller plus vite avec le ballon, capable de passer en revue toute une défense de l’extérieur du gauche ou de désarticuler le latéral adverse en toute élégance. Au sommet de son art, il fut une définition vivante du parfait ailier. Par la suite, il sut tirer un trait sur les courses folles et les arabesques du «wonder kid» et se réinventer dans l’axe où sa science du tempo, son toucher de balle et sa vista firent et font encore merveille.

Même si certains de ses pions ont forgé sa légende, Giggs ne fut jamais un buteur très prolifique sur le plan statistique, marquant un maximum de treize buts sur une saison en championnat. Joueur génial sur le plan individuel mais joueur d’équipe avant tout, il sut saison après saison mettre en valeur ses compagnons d’attaque, premiers bénéficiaires de l’altruisme et de la justesse du n°11. Au classement officieux des meilleurs passeurs du championnat anglais depuis 1992, Ryan Giggs occupe très largement la place du boss, avec la bagatelle de 237 caviars distribués à ses coéquipiers, et peut clairement être associé aux réussites personnelles avec les Red Devils des Cantona, Van Nistelrooy et autres Ronaldo. Son incroyable talent avait inspiré à un certain George Best ce savoureux commentaire: «Un jour on dira peut-être que j’ai été un autre Ryan Giggs.».




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire