
Même
s'il fut assurément le meilleur attaquant de l'ère Jacquet, il ne
bénéficia jamais d'une immense popularité, précisément parce qu'il ne
cherchait pas particulièrement à plaire au plus grand nombre. Souvent
taxé d'arrogance, ce qui semble être dans ce pays le lot des joueurs de
classe doté d'un quotient intellectuel supérieur à leur température
corporelle, Djorkaeff possédait l'inébranlable confiance en ses
possibilités qui est souvent la marque des footballeurs d'exception.
Electron libre sur et en dehors du terrain, il concevait la pratique du
sport de haut niveau comme un vecteur de plaisir et d'épanouissement
personnel tout en faisant toujours preuve d'un féroce esprit de
compétition.
Surnommé
le Snake pour son sang-froid devant les cages, Djorkaeff était
irrémédiablement attiré vers le but et constituait un danger mortel dans
la zone de vérité. En aucun cas un buteur de surface, il aimait rôder
dans les trente mètres pour placer sa magnifique frappe de balle ou
combiner avec les attaquants aux abords de la surface. Il
pouvait marquer de toutes les façons possibles et imaginables: d'un
ballon piqué au-dessus du gardien, sur coup franc, sur un ballon qui
traînait aux six mètres, d'une mine des trente mètres sous la barre,
d'un astucieux pointu au point de penalty, d'un lob chirurgical ou d'une
volée surpuissante.
Son
incroyable reprise acrobatique avec l'Inter reste dans toutes les
mémoires. Djorkaeff représente le protoype du joueur décisif et
totalement imprévisible, du facteur X capable de faire basculer une
rencontre sur un coup d'éclat, à l'image de son magnifique but au Riazor
contre La Corogne avec le PSG quelques minutes après son entrée en jeu,
qui fit lâcher à Charles Biétry un mémorable "oh purée!" au micro de
Canal Plus. Toujours présent lors des rendez-vous majeurs, notamment
avec l'équipe de France, il ne s'avérait jamais aussi redoutable que
lorsqu'il respirait le parfum des grands matches, au cours desquels il
n'avait pas besoin de dix occasions pour la mettre au fond.
Formé
à Grenoble puis passé par Strasbourg en deuxième division, Djorkaeff se
révèle sur le tard sous le maillot de l'AS Monaco, club qu'il rejoint
en 1991 à l'âge de vingt-deux ans et avec lequel il gagne la Coupe de
France dès sa première saison contre Marseille. En Principauté,
sous la houlette d'Arsène Wenger, sa progression parmi l'élite est
régulière: cinq buts, puis neuf, puis onze et enfin vingt lors de la
saison 1993-94, total qui lui vaut de partager le titre de meilleur
buteur du championnat avec Roger Boli et Nicolas Ouédec et de connaître
sa première sélection en bleu.
Devenu
un des attaquants français les plus convoités, il signe alors au Paris
Saint Germain, qui doit reconstruire son secteur offensif après les
départs de Ginola et Weah. Djorkaeff ne passe qu'une saison dans la
capitale, laissant échapper un titre de champion qu'il ne remportera
jamais nulle part mais contribuant grandement au premier titre européen
du club en Coupe des Vainqueurs de Coupe. Après une cinquantaine de
matches et une vingtaine de buts sous le maillot parisien, Djorkaeff
cède aux avances de l'Inter Milan, une décision alors jugée carriériste
et opportuniste par beaucoup. C'est le début d'une seconde carrière qui
l'emmènera aux quatre coins de l'Europe.
A
l'Inter, où il côtoie Zamorano, Ronaldo, Kanu ou Recoba lors de ses
trois années au club, Djorkaeff plante en moyenne un but tous les trois
matches en Serie A, réussissant notamment une superbe première saison
(14 buts), mais ne remporte pas le Scudetto. Battu en finale de la Coupe
UEFA par Schalke 04 en 1997, l'Inter prend sa revanche l'année suivante
contre la Lazio au Parc des Princes, l'ancien jardin de Djorkaeff, qui
remporte son deuxième trophée européen. A 31 ans et un avec un titre de
champion du monde en poche, il prend tout son monde à contre-pied en
signant à Kaisersalutern, séduit par le discours d'Otto Rehhagel et mu
par la volonté de découvrir d'autres horizons.
Après
une première année très satisfaisante (onze buts en Bundesliga,
qualification européenne), il connaît une deuxième saison plus difficile
et se brouille avec l'entraîneur grec. Désireux de trouver du temps de
jeu en vue du Mondial 2002, Djorkaeff surprend à nouveau en signant à
Bolton, où il gagne comme partout le respect de ses coéquipiers et des
supporters, se voyant même confier le brassard de capitaine à de
nombreuses reprises. A trente-six berges, il claque encore neuf pions en
Premier League avant de dire adieu à l'Europe et de rejoindre les
MetroStars de New York en 2005. Djorkaeff a évolué dans quatre
championnats européens majeurs pour le bilan chiffré suivant: 72 buts en
190 matches de Division 1, 30 buts en 87 matches de Serie A, 14 buts en
55 matches de Bundesliga et 20 buts en 75 matches de Premier League.
Sélectionné
pour la première fois par Jacquet en 1994, il marque dès ses débuts en
bleu face à l'Italie à Naples et devient rapidement le buteur
providentiel de l'équipe de France, voire, à l'occasion, le sauveur de la nation. Son coup franc importantissime
contre la Pologne au Parc à l'été 1995 sauve la tête du sélectionneur,
et c'est encore lui qui double le score quelques semaines plus tard contre la Roumanie à Bucarest lors d'une victoire fondatrice pour toute une génération. Sans Djorkaeff, la France ne se serait sans doute pas qualifiée pour l'Euro anglais et n'aurait pas pu poser les fondations de ses conquêtes ultérieures. Le joueur majeur de l'avant 98, c'est bien lui, et non Zidane.
Lors
du Mondial en France, il accepte de se placer au service du collectif
dans un rôle de neuf et demi chargé d'assurer le lien technique entre
Zidane et l'attaquant de pointe et de faire parler son talent dans la
zone de vérité. S'il ne plante que sur penalty, il offre un caviar à
Thuram en demie-finale et frappe le corner sur le deuxième but en
finale. Intelligent, juste et altruiste, Djorkaeff rentre dans le rang
pour entrer dans l'histoire, avant de sortir à nouveau de sa boîte lors
de l'Euro 2000 pour planter deux buts marqués du sceau de la classe
contre les Tchèques et les Espagnols. Auteur de 28 buts en 82
sélections, Djorkaeff est le septième buteur de l'histoire de l'équipe
de France, et il n'est pas superflu de rappeler le rôle majeur qu'il
joua dans la période la plus dorée de la sélection.


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