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lundi 20 juin 2011

Le paradoxe argentin

 Lors du dernier Mondial en Afrique du Sud, l'Argentine possédait sans doute sur le papier le potentiel offensif le plus impressionnant et le plus complet de tous les engagés: Messi, Tevez, Higuain, Milito, Aguero, excusez du peu. A eux cinq, les cinq lascars avaient déjà planté plus de cinq cents buts dans les différents championnats européens. Messi marchait déjà sur l'eau, Milito venait de claquer un doublé en finale de Champions League, Higuain et Tevez avaient tous deux passé la barre des vingt pions et le Kun affichait déjà les promesses qui font aujourd'hui de lui un des attaquants les plus convoités d'Europe. Voir ces cinq cadors réunis au sein d'une même sélection avait de quoi faire abondamment saliver. Et pourtant. 


Après avoir fait illusion jusqu'aux quarts, l'Albiceleste fut littéralement corrigée par l'Allemagne, contre laquelle elle fut incapable de se créer des occasions franches. Messi ne marqua pas un seul pion du tournoi, Higuain et Tevez brillèrent par intermittences face à la Corée du Sud et au Mexique et Milito resta cloué au banc de touche. Auteur de dix buts en six rencontres, l'Argentine s'avéra impuissante face au premier poids lourd placé sur son chemin. La faute à Diego et son organisation collective bancale, sa confiance accordée à des seconds couteaux (Gutierrez, Otamendi, Burdisso, Demichelis) ou des joueurs en fin de parcours (Palermo, Veron) et l'absence incompréhensible de certains tauliers historiques (Zanetti et Cambiasso notamment). Avec un technicien compétent plus soucieux de l'équilibre d'ensemble, l'Argentine aurait eu les moyens d'aller au bout.

L'équipe de Pekerman pour la Coupe du Monde allemande semblait présenter davantage de garanties et d'homogénéité entre les lignes. Avec Ayala, Heinze et Sorin derrière, Cambiasso et Mascherano au milieu, l'Albiceleste est bâtie sur du solide et peut compter sur son duo Crespo-Tevez soutenu par Riquelme. Au premier tour, l'Argentine, complète et technique à souhait, enchante les esthètes, signant un but mémorable en conclusion d'un mouvement d'école face à la Serbie et se sortant haut la main d'un groupe difficile. Beaucoup se disent que c'est peut-être la bonne année pour l'Argentine. 

En quart de finale face à l'hôte allemand, Ayala ouvre le score à la 50ème. A la 79ème, Pekerman remplace Crespo par Cruz, après avoir sorti Riquelme pour faire entrer Cambiasso. L'Allemagne égalise une minute
plus tard, et saborde les plans tactiques du sélectionneur, qui souhaitait manifestement tenir le score. Son équipe doit jouer les prolongations sans son meneur de jeu et son buteur en chef, perd son emprise sur le match et ne crée plus le danger dans le camp adverse. Victime d'un coaching trop prudent et à contre-temps, l'Albiceleste, dont la dernière qualification  pour le dernier carré remonte à 1990, s'incline aux tirs aux buts.
 
 Il serait aberrant de dire que l'Argentine n'a pas gagné davantage de Coupes du Monde uniquement à cause de ses sélectionneurs, même si de Passarella à Maradona, il y aurait bien des choses à dire, en somme. En 1994, l'Albiceleste se fit éliminer par une superbe équipe roumaine qui disposait des armes adaptées pour gêner les sud-américains et les poignarder en contre. En France, les partenaires de Batistuta et Ortega sortirent l'Angleterre au terme du plus beau match du tournoi, avant de tenir la dragée haute à une équipe des Pays-Bas qui faisait clairement partie des trois meilleures formations du tournoi et comptait dans ses rangs un extra-terrestre nommé Bergkamp. 

Il n'y a guère qu'en 2002 que les hommes au maillot bleu et blanc sombrèrent totalement, sortis qu'ils furent au premier tour comme la France et le Portugal, eux que beaucoup voyaient se forcer un chemin jusqu'à la finale. Ayala, Sorin, Almeyda, Zanetti, Claudio Lopez, Batigol, Ortega, Veron, Simeone, Aimar, Crespo, Gallardo, Caniggia, tous renvoyés à la maison après trois matches et deux petits buts marqués. Un gâchis monumental dont Marcelo Bielsa, apôtre du jeu offensif, ne saurait porter seul la responsabilité.
   
Le maillot argentin n'arbore que deux étoiles, total famélique pour un pays qui a produit de si grands joueurs dans tous les compartiments du jeu. La première, remportée à la maison en 1978 sous le régime dictatorial
du sinistre général Videla, restera à jamais marquée d'infamie, les chants des supporters argentins couvrant les cris de douleur et de détresse des torturés de l'école supérieure de mécanique de la marine, usine de mort de la junte. Qui peut encore croire que l'improbable Argentine-Pérou (victoire 6-0 des locaux, qui devaient l'emporter par quatre buts d'écart pour accéder à la finale) n'était pas arrangé d'avance?
Huit ans après ce Mondial de la honte, l'Argentine remporte un deuxième sacre grâce à un phénomène entouré par une équipe très moyenne. L'Albiceleste de 1986 n'était pas un onze de légende, mais plutôt un ensemble de dix bons joueurs au service d'un génie. Il s'agit sans doute d'une des formations les plus faibles jamais sacrées championnes du monde. Qui se souvient des Brown, Giusti et autres Trobbiani? Même Burruchaga a fait l'essentiel de sa carrière à Nantes et Valenciennes. Le paradoxe argentin, c'est de se planter royalement avec des équipes de rêve et de rafler la mise au prix de la corruption ou par le talent d'un seul homme: un cas de figure assez unique dans l'histoire du football international.
 
Batista semble aujourd'hui hésiter entre un 4-4-2 avec Pastore dans l'axe, Messi à droite et le duo Higuain-Di Maria en pointe, et un 4-3-3 assez original où Mascherano joue les sentinelles derrière la révélation d'Anderlecht, Biglia, et le Valencian Ever Banega, Di Maria, Lavezzi et Messi occupant le front de
l'attaque. Le sélectionneur ne paraît pas convaincu par le Barcelonais en position de meneur de jeu classique, qu'il n'est effectivement pas. Il lui faut trouver le juste positionnement pour le prochain triple Ballon d'Or, mettre au point la bonne formule tout en gérant les egos des stars et assurer la solidité de l'équipe, la paire Milito-Burdisso ne rassurant pas franchement.

La prochaine Copa America, qui doit débuter le 1er juillet, doit déjà servir de laboratoire en vue de la Coupe du Monde 2014. Batista sait que l'Argentine dispose d'une génération exceptionnelle menée par un joueur hors normes qui aura vingt-sept ans lors du Mondial brésilien, et plus beaucoup d'occasions de mener l'Argentine au titre suprême. L'Albiceleste, qui a abrité en son sein tant de défenseurs de classe mondiale, de milieux inspirés et d'attaquants racés, mérite un nouveau titre mondial. Scénario rêvé: mettre fin au paradoxe historique en conquérant une troisième étoile sur les terres du rival auriverde. Il faut bien avouer que la chose aurait une certaine gueule.
 
 

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