Lors du dernier Mondial en Afrique du
Sud, l'Argentine possédait sans doute sur le papier le potentiel
offensif le plus impressionnant et le plus complet de tous les
engagés: Messi, Tevez, Higuain, Milito, Aguero, excusez du peu. A
eux cinq, les cinq lascars avaient déjà planté plus de cinq cents buts
dans les différents championnats européens. Messi marchait
déjà sur l'eau, Milito venait de claquer un doublé en finale de
Champions League, Higuain et Tevez avaient tous deux passé la barre des
vingt pions et le Kun affichait déjà les promesses qui font
aujourd'hui de lui un des attaquants les plus convoités d'Europe.
Voir ces cinq cadors réunis au sein d'une même sélection avait de quoi
faire abondamment saliver. Et pourtant.
Après avoir fait
illusion jusqu'aux quarts, l'Albiceleste fut littéralement corrigée
par l'Allemagne, contre laquelle elle fut incapable de se créer des
occasions franches. Messi ne marqua pas un seul pion du
tournoi, Higuain et Tevez brillèrent par intermittences face à la
Corée du Sud et au Mexique et Milito resta cloué au banc
de touche. Auteur de dix buts en six rencontres, l'Argentine s'avéra
impuissante face au premier poids lourd placé sur
son chemin. La faute à Diego et son organisation collective bancale,
sa confiance accordée à des seconds couteaux (Gutierrez, Otamendi,
Burdisso, Demichelis) ou des joueurs en fin de parcours
(Palermo, Veron) et l'absence incompréhensible de certains tauliers
historiques (Zanetti et Cambiasso notamment). Avec un technicien
compétent plus soucieux de l'équilibre d'ensemble, l'Argentine
aurait eu les moyens d'aller au bout.
L'équipe de Pekerman pour la Coupe du Monde allemande semblait
présenter davantage de garanties et d'homogénéité entre les lignes. Avec
Ayala, Heinze et Sorin derrière,
Cambiasso et Mascherano au milieu, l'Albiceleste est bâtie sur du
solide et peut compter sur son duo Crespo-Tevez soutenu par Riquelme. Au
premier tour, l'Argentine, complète et technique à
souhait, enchante les esthètes, signant un but mémorable en
conclusion d'un mouvement d'école face à la Serbie et se sortant haut la
main d'un groupe difficile. Beaucoup se disent que c'est
peut-être la bonne année pour l'Argentine.
En quart de finale face à
l'hôte allemand, Ayala ouvre le score à la 50ème. A la 79ème, Pekerman
remplace Crespo par Cruz, après avoir sorti Riquelme
pour faire entrer Cambiasso. L'Allemagne égalise une minute
plus
tard, et saborde les plans tactiques du sélectionneur, qui souhaitait
manifestement tenir le score. Son équipe doit jouer les
prolongations sans son meneur de jeu et son buteur en chef, perd son
emprise sur le match et ne crée plus le danger dans le camp adverse.
Victime d'un coaching trop prudent et à contre-temps,
l'Albiceleste, dont la dernière qualification pour le dernier carré
remonte à 1990, s'incline aux tirs aux buts.
Il serait aberrant de dire que l'Argentine n'a pas gagné
davantage de Coupes du Monde uniquement à cause de ses sélectionneurs,
même si de Passarella à Maradona, il y
aurait bien des choses à dire, en somme. En 1994, l'Albiceleste se
fit éliminer par une superbe équipe roumaine qui disposait des armes
adaptées pour gêner les sud-américains et les poignarder en
contre. En France, les partenaires de Batistuta et Ortega sortirent
l'Angleterre au terme du plus beau match du tournoi, avant de tenir la
dragée haute à une équipe des Pays-Bas qui faisait
clairement partie des trois meilleures formations du tournoi et
comptait dans ses rangs un extra-terrestre nommé Bergkamp.
Il n'y a
guère qu'en 2002 que les hommes au maillot bleu et blanc
sombrèrent totalement, sortis qu'ils furent au premier tour comme la
France et le Portugal, eux que beaucoup voyaient se forcer un chemin jusqu'à
la finale. Ayala, Sorin, Almeyda, Zanetti, Claudio Lopez, Batigol,
Ortega,
Veron, Simeone, Aimar, Crespo, Gallardo, Caniggia, tous renvoyés à
la maison après trois matches et deux petits buts marqués. Un gâchis
monumental dont Marcelo Bielsa, apôtre du jeu offensif, ne
saurait porter seul la responsabilité.
Le maillot argentin n'arbore que deux étoiles, total famélique
pour un pays qui a produit de si grands joueurs dans tous les
compartiments du jeu. La première, remportée
à la maison en 1978 sous le régime dictatorial
du sinistre général Videla, restera à jamais marquée d'infamie, les chants des supporters argentins couvrant les cris de douleur et de détresse des torturés de l'école supérieure de mécanique de la marine, usine de mort de la junte. Qui peut encore croire que l'improbable Argentine-Pérou (victoire 6-0 des locaux, qui devaient l'emporter par quatre buts d'écart pour accéder à la finale) n'était pas arrangé d'avance?
du sinistre général Videla, restera à jamais marquée d'infamie, les chants des supporters argentins couvrant les cris de douleur et de détresse des torturés de l'école supérieure de mécanique de la marine, usine de mort de la junte. Qui peut encore croire que l'improbable Argentine-Pérou (victoire 6-0 des locaux, qui devaient l'emporter par quatre buts d'écart pour accéder à la finale) n'était pas arrangé d'avance?
Huit ans après ce Mondial de la honte, l'Argentine remporte un
deuxième sacre grâce à un phénomène entouré par une
équipe très moyenne. L'Albiceleste de 1986 n'était pas un onze de
légende, mais plutôt un ensemble de dix bons joueurs au service d'un
génie. Il s'agit sans doute d'une des formations les plus
faibles jamais sacrées championnes du monde. Qui se souvient des
Brown, Giusti et autres Trobbiani? Même Burruchaga a fait l'essentiel de
sa carrière à Nantes et Valenciennes. Le paradoxe
argentin, c'est de se planter royalement avec des équipes de rêve et
de rafler la mise au prix de la corruption ou par le talent d'un seul
homme: un cas de figure assez unique dans l'histoire du
football international.
Batista
semble aujourd'hui hésiter entre un
4-4-2 avec Pastore dans l'axe, Messi à droite et le duo Higuain-Di
Maria en pointe, et un 4-3-3 assez original où Mascherano joue les
sentinelles derrière la révélation d'Anderlecht, Biglia, et
le Valencian Ever Banega, Di Maria, Lavezzi et Messi occupant le
front de
l'attaque. Le sélectionneur ne paraît pas convaincu par le
Barcelonais en position de meneur de jeu classique, qu'il
n'est effectivement pas. Il lui faut trouver le juste positionnement
pour le prochain triple Ballon d'Or, mettre au point la bonne formule
tout en gérant les egos des stars et assurer la solidité
de l'équipe, la paire Milito-Burdisso ne rassurant pas franchement.
La prochaine Copa America, qui doit débuter le 1er juillet, doit déjà
servir de laboratoire en vue de la Coupe du Monde 2014.
Batista sait que l'Argentine dispose d'une génération exceptionnelle
menée par un joueur hors normes qui aura vingt-sept ans lors du Mondial
brésilien, et plus beaucoup d'occasions de mener
l'Argentine au titre suprême. L'Albiceleste, qui a abrité en son
sein tant de défenseurs de classe mondiale, de milieux inspirés et
d'attaquants racés, mérite un nouveau titre mondial. Scénario
rêvé: mettre fin au paradoxe historique en conquérant une troisième
étoile sur les terres du rival auriverde. Il faut bien avouer que la
chose aurait une certaine gueule.
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