Deschamps, c’est l’anti-Hidalgo, l’anti-Cruyff, l’anti-Luis
Enrique, un type qui se fout éperdument de la manière du moment que le résultat
est au rendez-vous, assez calculateur pour vous faire regretter d’avoir lu
Edmond Rostand et suffisamment roublard pour, on ne sait trop comment, échapper
aux critiques (à part sur la présente gazette, bien évidemment) et à la
vindicte populaire. Rien dans ses paroles et sa posture ne laisse la place au
moindre panache, au goût de la belle défaite et du perdant magnifique, à la
moindre considération esthétique, à une quelconque nostalgie pour un football
d’antan qui sentait bon les chaussettes baissées et les numéro 10 à l’ancienne.
Tout pue le football de droite à cent kilomètres, le réalisme, le pragmatisme, la
mesure, concepts honnis qui polluent le discours lénifiant qu’il tient à chaque
rendez-vous avec une presse qui semble comme hypnotisée par son bla-bla
consternant.
A la limite, on veut bien valider la méthode DD lorsqu’elle
gagne. Et encore. De la même manière que nous autres à LPC n’avons jamais
oublié que Jacquet avait aligné pas moins de huit joueurs à vocation défensive
lors de la finale de 1998 face au Brésil (un souvenir qui semble avoir
fortement marqué Deschamps), nous n’avons jamais perdu de vue la manière lors
du sacre de 2018, et notamment la demi-finale face à la Belgique avec une
équipe de France en mode Italie des années 80. Mais lorsque ce football
soi-disant efficace et rationnel jusqu’à l’ennui perd dans les grandes largeurs
comme ce fut le cas jeudi soir en Croatie, que reste-t-il non pas de nos amours
mais au pauvre péquin footballophile et qui plus est mortel que nous
sommes ? Rien, si ce n’est le néant, la consternation, la colère et la
honte.
Nous sortons d’un Euro durant lequel les Bleus ont ennuyé le
continent entier et planté en tout et pour tout un but dans le jeu, offrant des
prestations d’une indigence offensive ahurissante. Cette compétition faisait
suite à une défaite inquiétante en amical face à l’Allemagne, où le gouffre technique
qui séparait les Kroos, Wirtz et autres Musiala du bagage des tricolores avait
sauté à la figure, et précédait un revers à domicile contre l’Italie (suivie de
la fameuse « renaissance » milanaise, il vaut mieux lire ça que
d’être sourd). Et que fait-on messieurs dames je vous le donne Emile ? On
continue dans la même veine. Aucune remise en question. On reprend les mêmes
tocards dont on se demande toujours ce qu’ils foutent là et on recommence. Une
autre pièce dans le bouzin et c’est reparti pour un tour.
La cuisine maison du chef Deschamps, on la connaît : un
bon vieux 4-3-3 des familles avec si possible aucun créateur au milieu, une
dose de Kolo Muani pour faire bonne mesure (un joueur devenu
« incontournable » selon L’Equipe du 20 mars, qui il est vrai a littéralement
crevé l’écran sur la pelouse de Split) un zeste de Dembélé pour faire sauter le
verrou adverse et une touche de Mbappé pour conclure. Dans l’entrejeu, place
donc à un somptueux trio Guendouzi-Tchouameni-Rabiot que nous n’aurions pas
imaginé dans nos pires cauchemars : un type non seulement hirsute, mais
surtout brouillon et dégingandé, qui évolue dans une formation qui vient d’en
prendre cinq à Bologne, un physico-physique sur le modèle de Sissoko (en moins
cavaleur et mobile) à la lenteur pachydermique qui ne fait que ralentir le jeu
et dont on se demande toujours si c’est
un milieu défensif ou un arrière central (et n’est pas Desailly qui veut) et le
catogané de service, aussi peu à l’aise à la récupération qu’à la distribution
et totalement absent des débats. Un milieu de terrain de chevaux de trait. Et
dire qu’on reprochait à Domenech, qui passerait presque aujourd’hui pour un
risque-tout inconscient, d’aligner deux milieux récupérateurs lorsqu’il
s’agissait de faire le jeu à la maison…
Il est somme toute assez prodigieux de reprocher à ses
joueurs leurs trop nombreuses erreurs et carences techniques (près de 70 passes
ratées tout de même) quand précisément, on n’aligne pas le moindre technicien
dans son milieu de terrain. Quand des Cherki, meilleur passeur de Ligue 1 et de
Ligue Europa, des Akliouche, souvent virevoltant avec Monaco et les Espoirs, ou
des Millot à un degré moindre, sans doute trop doués avec la chique au goût de
Deschamps, peuvent gentiment aller se faire cuire un œuf en attendant que
l’indispensable Guendouzi libère une place. Nous l’avons demandé mille fois et
nous le demandons à nouveau : qui exactement est censé faire le lien entre
le milieu et l’attaque dans cette équipe ? Personne. Les attaquants, et
surtout Dembouz et Mbappé, dans la mesure où nous ne considérons pas RKM comme
un attaquant mais davantage comme un deuxième arrière droit, sont priés de se
démerder tout seuls, de redescendre chercher les ballons qui n’arrivent jamais,
de dribbler quatre types et de marquer. Le cocktail DD, c’est sept bourrins et
trois dragsters, et force est de constater qu’il ne s’avère pas très efficace.
En face, il y avait un type de presque quarante balais qui a
encore dans les panards plus de football (et plus d’envie également sans doute)
que les trois sommets de nullité de l’entrejeu français, un
Kovacic capable de contrôler le tempo et orienter à bon escient et un Perisic de
36 berges qui a offert à son peuple un pion et une passe décisive et compte
désormais plus de trente pions et autant de caviars en sélection. C’est à
croire que non seulement Dédé la science ne regarde pas les matches européens
et étrangers à la télé (sinon il aurait peut-être donné une vague chance à
André, Ekitike ou Tolisso et plus de dix minutes à un Olise qui flambe avec le
Bayern) mais qu’il ne tire en prime aucune conclusion de ses défaites récentes
face à l’Allemagne et l’Espagne notamment, au cours desquelles les milieux
adverses ont surclassé ses athlètes de concours. Une fois de plus, des vrais
joueurs de ballon comme Modric, Kovacic et Perisic, pas spécialement rapides ni
puissants, ont fait passer ses marathoniens au pieds carrés pour des chèvres. Mais
au talent, DD ne sait opposer que du muscle.
Alors oui la France (nous ne disons pas « nous »
ou « on » car nous n’avons aucune envie de nous associer à une équipe
qui en est venue à incarner tout ce que nous détestons dans le football) va
peut-être écraser la Croatie au match retour et se qualifier, bien qu’il soit
permis d’en douter, mais cela ne change rien sur le fond. Cela ne change
strictement rien au fait que la sélection est prise en otage depuis bientôt
treize ans par un sinistre père fouettard, par un type qui a cassé notre beau
jouet à nous autres enfants de la baballe nostalgiques de Platoche et Tigana,
un empêcheur de rêver en rond qui a réussi à nous dégoûter de notre équipe
nationale au nom d’une sacro-sainte gagne qui ne gagne même plus. Tant que ce
triste personnage sera aux manettes de la sélection, nous prendrons un malin plaisir
à soutenir l’adversaire, surtout s’il compte dans ses rangs de Wirtz, des Dani
Olmo et des Pedri, au nom du beau, de la grandeur, de la joie de jouer, de
l’émerveillement que doit procurer le football international et de Cyrano.
Qu’on se le tienne pour dit.
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