post-labels {display: none}

jeudi 12 janvier 2012

Experts et guignols

En Grandlauclaire-Bretagne, pays que nombre de compatriotes ne manquent jamais une occasion de railler (il est vrai que nous autres nageons dans la félicité grâce à l'euro), on considère la chose footballistique comme il se doit: avec passion, sérieux et humour. Les gens n'y ont guère honte de se déclarer footophiles, tant le ballon rond et le sport de manière générale font partie intégrante du quotidien et de la culture et intéressent toutes les classes sociales.


En salle des professeurs, devant la machine à café ou à la cantine, on refait le match, on discute des rumeurs de transferts, on débat d'un point de règlement, on évoque les qualités et défauts d'un joueur. Les chaînes de télévision convoquent sur leurs plateaux d'anciennes gloires aux commentaires acérés (dont le mythique Alan Hansen), des techniciens et des analystes capables de décortiquer un mouvement d'attaque ou d'illuminer une phase de jeu en fumant le cigare. A la mi-temps, ces messieurs proposent un éclairage sur le match et apportent une véritable plus-value, ce qui constitue tout de même la raison d'être du commentaire sportif. Le lendemain, les meilleures plumes du Guardian et du Times relatent avec style la ou les rencontres de la veille et font part d'impressions toujours pertinentes. Le football se raconte et se dissèque en termes choisis, avec élégance, avec classe, avec brio parfois.

Ne parlons même pas de la qualité de la presse dite spécialisée en France. L'Equipe, publication phare, se contente de faire dans le démagogique spectaculaire ou le compte-rendu sommaire, sans jamais sortir des sentiers battus ni creuser les choses en profondeur. La section sportive de la plupart des journaux britanniques est d'une teneur largement supérieure à celle du quotidien national. Mais c'est dans le domaine télévisuel que le journalisme hexagonal atteint des sommets. Sur le petit écran, point de salut hors des extrêmes: la gouaille franchouillarde et l'incompétence sur TF1 et le service public, les logorrhées pseudo-expertes sur la chaîne cryptée.

D'un côté, le soutien automatique aux clubs français en Coupe d'Europe, le degré zéro de l'analyse, les publicités pour l'après-rasage à la mi-temps, le braillement systématique, les formules à l'emporte-pièce. De l'autre, la palette à Doudouce, le raffinement tactique, les noms ronflants, les talk-shows hebdomadaires. Pour les masses, la remarque près de chez vous, le bon sens stéphanois, la sagesse populaire. Pour une minorité, le grand barnum technologico-chirurgical, les tonnes de statistiques, le trop-plein d'informations: une dichotomie caractéristique d'un pays où le football est censé être réservé soit aux beaufs soit aux bobos.

Avec Jean-Michel Larqué, on a droit au commentaire de droite, atrabilaire, réactionnaire (marque de fabrique: choisir une tête de Turc et la pourrir pendant tout le match ou hurler aux loups quand un milieu adverse approche des trente mètres). Le ton grincheux de l'ancien partenaire de Thierry Roland, souvent à la limite du supportable, se trouve contrebalancé par celui, confondant de fausse candeur, de l'extraordinaire Christian Jeanpierre, toujours content, satisfait, emphatique (l'incarnation de la nullité dans la béatitudelarqué), mais l'association des contraires n'aboutit nullement à un équilibre. Lizarazu est censé apporter une compétence sur le fond, mais dans les faits n'est jamais qu'une caution et un argument de vente estampillé France 98.

Sur Canal, certains consultants donnent satisfaction (Dugarry dans l'intransigeance, Denoueix, trop rare, dans la précision, Baup dans le coup d'oeil global) mais beaucoup feraient bien de nous dispenser de leurs lumières (mention spéciale à Desailly, qui cause dans le poste avec autosatisfaction et un maillot de Chelsea sur les épaules, et pour qui un tacle au niveau de la cuisse ne constitue pas une faute flagrante). Le style Canal, c'est vouloir trop en dire pour au final ne rien dire (grande spécialité d'Aimé Jacquet), rendre l'évidence complexe, faire croire au téléspectateur qu'il n'a rien compris ni vu. 

Il convient de dire ici quelques mots d'un phénomène des bords de touche, devenu en quelques années une véritable légende du micro: l'inarrêtable Daniel Lauclair, débauché du tiercé pour venir asséner les mêmes questions chaque année en Coupe de la Ligue ("Oui un mot avec Julien Sablé alors Julien quel a été le discours de l'entraîneur à la mi-temps?"). Que l'on considère qu'un même type puisse à la fois s'extasier sur les bourrins en direct de Longchamp et interviewer du cuissu en crampons le long de la ligne démontre le peu de considération que l'on porte au commentaire sportif dans ce pays. En France, on peut aussi bien commenter le cyclisme sur piste, le rugby et le patinage artistique: vivent la polyvalence et la transversalité, à bas la qualification et la spécialisation.

Dans les nations qui jouissent d'une véritable culture sportive (particulièrement la Grande-Bretagne et l'Allemagne), une telle situation serait purement inconcevable. Imagine-t-on Beigbeder donner des conseils de jardinage à Télématin, Pernaut animer un café littéraire en deuxième partie de soirée ou Barthès présenter le bulletin météo? Arrêtons de faire croire que les journalistes dits sportifs Romain-delbellopeuvent parler de tous les sports. Déjà une calamité sur le football, Jeanpierre fut simplement risible pendant la Coupe du Monde de rugby.

Est-ce se montrer trop exigeant que de réclamer un commentaire de qualité, pertinent, clair et bien énoncé? Est-ce trop demander qu'on trouve un équilibre entre réaction à chaud et dissection clinique? Est-ce aberrant de vouloir que les bafouilleurs du PAF sachent un tantinet de quoi ils causent? Suivre un match de basket en compagnie de Jacques Monclar est toujours un pur régal, car le grand Jacquot allie le génie du verbe à la science du jeu et s'avère capable d'analyser brillammment une rencontre en restant dans un registre divertissant.

A l'heure actuelle, un tel profil dans le secteur footballistique relève de l'utopie (à la limite, un amuseur public comme Ménès pourrait tenir le rôle, mais il a tendance à faire son sketch et s'auto-caricaturer). D'autre part, les divers talk-shows filmés se focalisent sur les sujets ultra-médiatisés (la rivalité PSG-OM, le duel Messi-Ronaldo, le cas Ribéry en équipe de France) mais n'abordent jamais des questions qui feraient le ravissement des vrais footophiles, de la saison du Werder aux exploits de Di Natale en passant par le renouveau de Pirlo à la Juve. Manifestement, l'offre télévisuelle ne s'adresse guère aux connaisseurs.

















Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire