En Grand
e-Bretagne,
pays que nombre de compatriotes ne manquent jamais une occasion de
railler (il est vrai que nous autres nageons dans la félicité grâce à
l'euro), on considère la chose footballistique comme il se doit: avec
passion, sérieux et humour. Les gens n'y ont guère honte de se déclarer
footophiles, tant le ballon rond et le sport de manière générale font
partie intégrante du quotidien et de la culture et intéressent toutes
les classes sociales.

En
salle des professeurs, devant la machine à café ou à la cantine, on
refait le match, on discute des rumeurs de transferts, on débat d'un
point de règlement, on évoque les qualités et défauts d'un joueur. Les
chaînes de télévision convoquent sur leurs plateaux d'anciennes gloires
aux commentaires acérés (dont le mythique Alan Hansen), des techniciens
et des analystes capables de décortiquer un mouvement d'attaque ou
d'illuminer une phase de jeu en fumant le cigare. A la mi-temps, ces
messieurs proposent un éclairage sur le match et apportent une véritable
plus-value, ce qui constitue tout de même la raison d'être du commentaire sportif. Le lendemain, les meilleures plumes du Guardian et du Times
relatent avec style la ou les rencontres de la veille et font part
d'impressions toujours pertinentes. Le football se raconte et se
dissèque en termes choisis, avec élégance, avec classe, avec brio
parfois.
Ne parlons même pas de la qualité de la presse dite spécialisée en France. L'Equipe,
publication phare, se contente de faire dans le démagogique
spectaculaire ou le compte-rendu sommaire, sans jamais sortir des
sentiers battus ni creuser les choses en profondeur. La section sportive
de la plupart des journaux britanniques est d'une teneur largement
supérieure à celle du quotidien national. Mais c'est dans le dom
aine
télévisuel que le journalisme hexagonal atteint des sommets. Sur le
petit écran, point de salut hors des extrêmes: la gouaille
franchouillarde et l'incompétence sur TF1 et le service public, les
logorrhées pseudo-expertes sur la chaîne cryptée.
D'un côté, le soutien automatique aux clubs français en Coupe d'Europe, le
degré zéro de l'analyse, les publicités pour l'après-rasage à la
mi-temps, le braillement systématique, les formules à l'emporte-pièce.
De l'autre, la palette à Doudouce, le raffinement tactique, les noms
ronflants, les talk-shows hebdomadaires. Pour les masses, la remarque
près de chez vous, le bon sens stéphanois, la sagesse populaire. Pour
une minorité, le grand barnum technologico-chirurgical, les tonnes de
statistiques, le trop-plein d'informations: une dichotomie
caractéristique d'un pays où le football est censé être réservé soit aux
beaufs soit aux bobos.
Avec
Jean-Michel Larqué, on a droit au commentaire de droite, atrabilaire,
réactionnaire (marque de fabrique: choisir une tête de Turc et la
pourrir pendant tout le match ou hurler aux loups quand un milieu
adverse approche des trente mètres). Le ton grincheux de l'ancien
partenaire de Thierry Roland, souvent à la limite du supportable, se
trouve contrebalancé par celui, confondant de fausse candeur, de
l'extraordinaire Christian Jeanpierre, toujours content, satisfait,
emphatique (l'incarnation de la nullité dans la béatitude
),
mais l'association des contraires n'aboutit nullement à un équilibre.
Lizarazu est censé apporter une compétence sur le fond, mais dans les
faits n'est jamais qu'une caution et un argument de vente estampillé
France 98.

Sur
Canal, certains consultants donnent satisfaction (Dugarry dans
l'intransigeance, Denoueix, trop rare, dans la précision, Baup dans le
coup d'oeil global) mais beaucoup feraient bien de nous dispenser de
leurs lumières (mention spéciale à Desailly, qui cause dans le poste
avec autosatisfaction et un maillot de Chelsea sur les épaules, et pour
qui un tacle au niveau de la cuisse ne constitue pas une faute
flagrante). Le style Canal, c'est vouloir trop en dire pour au final ne
rien dire (grande spécialité d'Aimé Jacquet), rendre l'évidence
complexe, faire croire au téléspectateur qu'il n'a rien compris ni vu.
Il
convient de dire ici quelques mots d'un phénomène des bords de touche,
devenu en quelques années une véritable légende du micro: l'inarrêtable
Daniel Lauclair, débauché du tiercé pour venir asséner les mêmes
questions chaque année en Coupe de la Ligue ("Oui un mot avec Julien
Sablé alors Julien quel a été le discours de l'entraîneur à la
mi-temps?"). Que l'on considère qu'un même type puisse à la fois
s'extasier sur les bourrins en direct de Longchamp et interviewer du
cuissu en crampons le long de la ligne démontre le peu de considération
que l'on porte au commentaire sportif dans ce pays. En France, on peut
aussi bien commenter le cyclisme sur piste, le rugby et le patinage
artistique: vivent la polyvalence et la transversalité, à bas la
qualification et la spécialisation.
Dans
les nations qui jouissent d'une véritable culture sportive
(particulièrement la Grande-Bretagne et l'Allemagne), une telle
situation serait purement inconcevable. Imagine-t-on Beigbeder donner
des conseils de jardinage à Télématin, Pernaut animer un café littéraire
en deuxième partie de soirée ou Barthès présenter le bulletin météo?
Arrêtons de faire croire que les journalistes dits sportifs
peuvent
parler de tous les sports. Déjà une calamité sur le football,
Jeanpierre fut simplement risible pendant la Coupe du Monde de rugby.

Est-ce
se montrer trop exigeant que de réclamer un commentaire de qualité,
pertinent, clair et bien énoncé? Est-ce trop demander qu'on trouve un
équilibre entre réaction à chaud et dissection clinique? Est-ce aberrant
de vouloir que les bafouilleurs du PAF sachent un tantinet de quoi ils
causent? Suivre un match de basket en compagnie de Jacques Monclar est
toujours un pur régal, car le grand Jacquot allie le génie du verbe à la
science du jeu et s'avère capable d'analyser brillammment une rencontre
en restant dans un registre divertissant.
A
l'heure actuelle, un tel profil dans le secteur footballistique relève
de l'utopie (à la limite, un amuseur public comme Ménès pourrait tenir
le rôle, mais il a tendance à faire son sketch et s'auto-caricaturer).
D'autre part, les divers talk-shows filmés se focalisent sur les sujets
ultra-médiatisés (la rivalité PSG-OM, le duel Messi-Ronaldo, le cas
Ribéry en équipe de France) mais n'abordent jamais des questions qui
feraient le ravissement des vrais footophiles, de la saison du Werder
aux exploits de Di Natale en passant par le renouveau de Pirlo à la
Juve. Manifestement, l'offre télévisuelle ne s'adresse guère aux
connaisseurs.
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