Nombre
de
bons joueurs s'égarent en chemin, nombre de trajectoires annoncées
brillantes se perdent dans l'échec et l'anonymat, et la proportion de
talents gâchés n'a fait qu'augmenter avec l'avènement du libéralisme
sportif, qui a favorisé la mobilité et impitoyablement broyé des
carrières dans l'oeuf. La Pause Cigare propose de s'arrêter sur dix
véritables surdoués qui, à des degrés divers, n'ont pas confirmé les
espoirs placés en eux, à cause de la poisse, de mauvais choix, par
manque d'ambition ou de solidité mentale. Ces types-là avaient tout pour
eux (la jeunesse, des qualités remarquables, un début de carrière
réussi et prometteur) et ne sont jamais devenus les cadors qu'ils
auraient dû être. On s'en trouve attristés pour certains, classieux et
dilettante, beaucoup moins pour d'autres, qui se sont pris pour
quelqu'un d'autre et ont payé au prix fort leur arrogance et leur
entêtement.
Ibrahim Ba (milieu latéral droit, né en 1973)

Philippe Fargeon (attaquant, né en 1964)
Co
mme
Ibrahim Ba, l'ange blond Philippe Fargeon ne fut sur le devant de la
scène que quelques mois seulement, marquant 18 pions en 15 journées sur
la phase retour de l'exercice 1986-87 pour offrir le titre aux
Girondins. La France découvre alors cet attaquant de vingt-deux ans
originaire de Haute-Savoie et qui a fait ses armes dans le championnat
suisse. Elle croit tenir son nouveau Rocheteau lorsque Fargeon est
appelé pour la première fois en sélection en juin 1987, mais ignore
encore que sa nouvelle étoile ne fera que décliner. A la surprise de
tous, il signe au Servette de Genève en 1988 et ne retrouvera jamais
l'incroyable efficacité qui avait fait de lui la grande sensation
post-Coupe du Monde mexicaine. Il n'a jamais marqué plus de sept buts
sur une saison après son départ de Bordeaux. Fargeon laissera à jamais
une image éthérée et floue, à mi-chemin entre l'image Panini et l'icône
religieuse.

Xavier Gravelaine (attaquant / milieu offensif, né en 1968)
L
e
cador du microphone sur le service public fut un attaquant
incroyablement doué et prometteur à ses débuts avec le Stade Malherbe de
Caen, qu'il emmena en Coupe d'Europe en 1994. Comme Maurice, il s'est
royalement planté à Paris, barré pr Weah, Ginola et consorts. Prêté à
Strasbourg, il eut ensuite un rendement décent avec l'OM à la fin des
années 90 avant de collectionner les contrats et les aventures d'un
jour. On se demandait toujours quand il allait revenir au PSG. Il
disposait de qualités clairement au-dessus de la moyenne, dégageait une
indéniable classe et pouvait changer le cours d'un match sur un coup de
patte ou une inspiration. En termes de talent pur, il n'avait pas
grand-chose à envier à un Cantona ou un Djorkaeff. Il aurait juste fallu
qu'il pose ses valises quelque part.

Olivier Kapo (attaquant / milieu offensif, né en 1980)
Is
su
d'une remarquable cuvée auxerroise, celle des Mexès, Cissé ou Fadiga,
Olivier Kapo suscite l'intérêt des plus grands clubs européens,
notamment de la Juventus, où il signe en 2004. C'est le début d'un
parcours des plus erratiques, qui le mènera de Levante à Al-Ahly en
passant par Birmingham et l'éloignera de la sélection. A 31 ans, il
vient de resigner à l'AJA, son club formateur, à qui il va tenter de
donner un coup de main en vue du maintien. Ce n'est sans doute pas un
mauvais choix: comme Pedros, Kapo a toujours donné le sentiment d'avoir
besoin d'évoluer dans une structure familiale et apaisante. Sa fragilité
psychologique l'a privé d'une brillante carrière, mais ses facultés
techniques devraient faire le plus grand bien à Auxerre.

Peter Luccin (milieu défensif, né en 1979)
Ext
raordinairement
précoce, Luccin, dès l'âge de dix-sept ans, faisait montre d'une
aisance et d'une maturité bluffantes à un poste où ce sont généralement
les vieux briscards qui flambent. Il présentait le profil parfait du
milieu défensif moderne (endurant, calme, techniquement à l'aise,
tactiquement au point, sobre, juste, polyvalent) et semblait parti pour
devenir un élément de base d'une grosse cylindrée européenne et
multiplier les sélections. A l'arrivée, Luccin n'a évolué que dans des
équipes de seconde zone en Liga, espérant vainement un appel du pied
d'un grand club ibérique, et s'est mis à l'écart des Bleus. Lui aussi a
sombré au PSG, aux côtés de Robert et Dalmat, qui n'ont pas non plus
confirmé tous les espoirs placés en eux. Il avait tout d'un futur grand
et a traversé les années dans un relatif anonymat.

Florian Maurice (attaquant, né en 1974)
Be
aucoup
voyaient en le Lyonnais le digne successeur de JPP, qu'il rappelait par
beaucoup d'aspects (physique, opportunisme, spontanéité, sens inné du
but). Révélé sous le maillot de l'OL, il fut par la suite avalé par le
trou noir parisien ("ô combien de marins" etc) sans parvenir à retrouver
la lumière à Marseille. Le plantage version Maurice correspond à un cas
de figure archétypal du football français: explosion au sein du club
formateur, recrutement par un ogre hexagonal, flanchage sous la
pression, ratage du train bleu, plongée dans l'anonymat. Une histoire
terriblement banale, en somme. Il aurait pu être un serial buteur et ne
fut au final qu'un éternel espoir, voire, plus cruellement, une solution
de recours.

Laurent Paganelli (attaquant / milieu offensif, né en 1962)
Un
autre
grand espoir déçu reconverti dans le commentaire sportif version accent
méridional, blagues de comptoir et fous rires à l'antenne. Paganelli
débute dans l'élite à quinze ans seulement avec l'ASSE, et les
superlatifs ne suffisent pas à qualifier le talent hors normes de ce
gamin d'Aubenas. En 1983, il quitte Saint-Etienne pour Toulon, où les
blessures à répétition l'empêchent de progresser et de postuler à une
place chez les Bleus. Après cinq ans sur la rade, il fait le choix de
donner un coup de main à son club formateur d'Avignon, alors en D2,
tournant définitivement le dos à l'élite à l'âge de vingt-sept ans.
Assurément l'un des talents les plus précoces du football français,
celui que l'on surnomma "le petit Mozart", "Tom Pouce" ou "Baby Vert"
n'a jamais porté le maillot de l'équipe de France.

Stéphane Paille (attaquant, né en 1965)
Pro
duit
de Sochaux, Paille formait avec Cantona un superbe duo d'attaque au
sein de l'équipe de France championne d'Europe Espoirs en 1987, et
Loulou Nicollin ne put résister à la tentation d'associer les deux
jeunes loups sous le maillot de Montpellier. Le résultat fut calamiteux,
et Paille ne se remit jamais vraiment de cet échec. Il traîna son
spleen à Bordeaux et Porto avant de retrouver en partie de sa superbe
sous le maillot caennais (23 buts en championnat entre 1991 et 1993)
avant de disparaître pour de bon des radars en finissant sa carrière en
Ecosse avec Hearts of Midlothian. Stéphane Paille n'a porté que huit
fois le maillot bleu, et sa trajectoire fut totalement opposée à celle
de son ancien partenaire Cantona, qui ne fut pourtant pas si loin de
pouvoir figurer dans cette sélection.

Reynald Pedros (milieu offensif, né en 1971)
Rey
nald
Pedros incarne le cas typique du talent nantais incapable d'exporter
ses compétences et de réussir ailleurs. Le petit prince de la Beaujoire
au pied gauche d'exception, champion de France en 1995 avec les Canaris,
est allé se perdre à l'OM, club broyeur de joueurs au profil fragile
aux antipodes du confort douillet de la Jonnelière. Il a ensuite tenté
de se relancer à Parme, où il est devenu le préposé officiel aux
étirements de Thuram à l'entraînement. Son tir au but manqué en
demi-finale de l'Euro 96 contre les Tchèques n'a pas franchement
contribué à sa popularité et à son éclosion en bleu. L'histoire de
Pedros confine au pathétique, mais le principal intéressé n'en semble
étrangement guère plus affecté que cela.

Philippe Vercruysse (milieu offensif, né en 1962)
For
mé
au RC Lens, Vercruysse fut perçu lors de ses années sang et or comme
l'héritier de Platini, ni plus ni moins, et le futur meneur de jeu de
l'équipe de France. Il fut un excellent joueur de championnat (ses
divers entraîneurs à l'OM le considéraient comme un des meilleurs
milieux offensifs du continent) mais ne parvint jamais à s'imposer comme
une pointure à l'échelon international. Sans doute un peu dilettante,
pas forcément conscient de son propre potentiel, Vercruysse et son
parcours d' underachiever évoquent le profil de Micoud, à la
différence près que l'ancien du Werder fut toujours barré par un certain
Zidane. Vercruysse avait les moyens footballistiques de s'imposer comme
le leader technique des Bleus dans une période de transition, mais pas
la carrure nécessaire au rôle. Si sa carrière fut loin d'être un
désastre, elle aurait pu s'avérer bien plus glorieuse.

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