Nous avions déjà eu l’occasion d’écrire, il y a de cela plus
de trois mois, suite au match amical perdu face à l’Allemagne, à
quel point les conceptions ultra-sécuritaires et conservatrices de
Deschamps nous déplaisaient au plus haut point. Privés de
Griezmann, les Bleus avaient évolué sans aucun milieu créateur et
subi la loi des Kroos, Gündogan, Wirtz et Musiala, largement
supérieurs techniquement. Face à la Belgique, le joueur de
l’Atletico Madrid était bien présent, mais aligné dans une
position de faux ailier droit au sein du 4-3-3 maison, sans doute
pour aider Koundé à contrôler Doku, car une fois de plus le
sélectionneur attache semble-t-il plus d’importance aux missions
défensives de ses attaquants qu’à leur impact offensif. Griezmann
n’a donc jamais pu peser sur le jeu ni faire le lien entre milieu
et attaque et a traversé le match comme une ombre, bon soldat qui
joue où on lui dit de jouer, toujours prêt à se sacrifier pour le
collectif, même si cela veut dire jouer les arrières latéraux bis
et passer son match à défendre. Incroyable mais vrai, c’est la
plupart du temps à Aurélien Tchouameni qu’est revenue la tâche
d’orienter le jeu et de diriger la manœuvre, et le Madrilène
s’est plutôt bien acquitté de sa mission, adressant quelques
jolies transversales et changeant souvent le jeu à bon escient.
Deschamps comptait peut-être sur Rabiot pour assumer ce rôle, mais
l’ancien Parisien s’est montré trop timide et discret, et on ne
peut que se lamenter de voir un pur récupérateur, qui ferait passer
Luis Fernandez pour Socrates et qu’Ancelotti aligne parfois en
défense centrale, prendre la direction des opérations en équipe de
France. Contre la Pologne, on a même vu Kanté en position de meneur
de jeu, et les limites techniques du petit protégé de Deschamps,
par ailleurs irréprochable, ont sauté aux yeux.
Au bout du compte,
c’est à un nouveau but contre son camp consécutif à une frappe
ratée de Kolo Muani, que Deschamps se félicitait d’avoir fait
entrer en jeu alors qu’on se demande toujours pourquoi il a été
sélectionné, que les Bleus ont dû leur salut contre la Belgique.
Marcus Thuram a été, comme à son habitude, tantôt invisible
tantôt maladroit, tandis que Mbappé a fait du Mbappé, c’est-à-dire
partir du côté gauche et repiquer vers l’axe pour tenter de
frapper. Pourquoi sacrifier Dembélé, qui connaît certes trop de
déchet dans son jeu mais reste un des rares joueurs français
capable d’accélérer balle au pied, de faire des différences
individuelles et de créer des déséquilibres dans le bloc adverse ?
Pourquoi, alors que le sélectionneur belge avait pris une option
très prudente en faisant jouer De Bruyne un cran plus bas aux côtés
d’Onana, ne pas se priver d’un des trois milieux défensifs et
aligner Griezmann dans l’entrejeu aux côtés de Kanté et
Tchouameni, ce qui aurait sans doute eu pour effet d’apporter
davantage de liant dans le jeu et permis de titulariser Dembélé à
droite ? Même quand Deschamps a compris que la Belgique
refusait le jeu et s’en remettait exclusivement à du jeu long en
direction d’un Lukaku parfaitement contrôlé par Saliba, il a
refusé de modifier son système et de prendre le moindre risque pour
modifier le cours de la rencontre, qui aurait très bien pu aller
jusqu’à la prolongation si le sélectionneur n’était protégé
par une veine sans nom qui lui évite davantage de critiques. Car
même si cette équipe de France semble incapable de marquer un but
dans le jeu, même si les meilleures occasions face aux Belges
provinrent de Tchouameni et non des attaquants, elle gagne. Moche,
mais elle gagne.
Peut-être les Bleus
iront-ils au bout de cette manière, en se montrant d’une solidité
à toute épreuve, en se comportant comme un bloc-équipe
particulièrement difficile à manier et à contourner, en comptant
sur la complémentarité de la charnière Saliba-Upamecano,
l’activité débordante d’Hernandez, les bonnes dispositions de
Koundé, l’abattage monstrueux de Kante et le calme olympien de
Tchouameni. Mais à vrai dire, voir une équipe qui n’a planté
qu'un seul pion sur penalty en quatre matches et fait preuve d’un pragmatisme et
d’un réalisme effrayants devenir championne d’Europe serait tout
sauf une bonne nouvelle pour le football. Certes, l’équipe de
France s’est souvent appuyée sur son imperméabilité défensive
pour conquérir des titres, mais en 1984, au cours d’un Euro où
Platini avait marqué neuf buts à lui tout seul, elle alignait trois
milieux offensifs, et en 1998 et 2000, elle comptait dans ses rangs
des joueurs comme Zidane, Djorkaeff, Henry, Trézéguet, Anelka ou
Dugarry, d’un tout autre calibre que les peintres Thuram ou Kolo
Muani qu’on nous vend comme des éléments de niveau international
(on nous aurait donc menti ? Et au passage, pourquoi prendre un
Giroud diminué et sur une jambe pour laisser Lacazette à la
maison?). En 2006, le joueur synonyme de fraîcheur s’appelait
Ribéry, et Barcola, plutôt convaincant contre la Pologne mais sorti
à la 60ème minute, aurait pu être le Ribéry de 2024 si Deschamps
lui avait donné une vraie chance.
Peut-on se
satisfaire de cette bouillie de football qu’on nous propose depuis
le début de l’Euro, de cette vision restrictive qui envisage avant
tout une équipe comme un bloc défensif et non comme autant de
potentialités et d’affinités offensives, de cette idée vieille
comme le monde et qui a certes fait ses preuves que c’est avant
tout la défense qui fait gagner ? Dans la philosophie du
football que nous défendons, la raison d’être des attaquants est
de dribbler, de centrer et de marquer et non avant tout d’assurer le
repli défensif. Un ailier doit penser avant tout à attaquer et non
à seconder son latéral dans les tâches plus ingrates. Le rôle des
milieux récupérateurs doit consister à gratter la chique et à la
transmettre à ceux qui doivent la manier, qui n’existent
pratiquement pas dans cette sélection française, et non à
orchestrer eux-mêmes les mouvements offensifs. On nous dit que
Deschamps n’a pas de vrai meneur de jeu à sa disposition. Qu’il
commence alors à faire jouer Griezmann au milieu et non à
l’excentrer sur le côté droit où il ne sert strictement à rien,
qu’il prenne pour une fois le risque de commencer le match avec
seulement deux milieux défensifs de métier et qu’il fasse comme
tout un chacun le constat évident que le danger pour cette équipe
de France passe par les ailes et non par l’axe, par les percussions
de Mbappé, Barcola, Dembélé et les montées d’Hernandez, tous
capables de prendre leur couloir, de déborder et de centrer pour
l’avant-centre, si tant est que cette équipe de France en possède
un, et que le type à la réception des centres ne s’appelle pas
Marcus Thuram. Toutes les équipes présentes en quarts, à
l’exception peut-être d’une Angleterre décevante, ont plus
séduit que la France, et à vrai dire, tant il est vrai que l’homme
à la tête des Bleus défend des conceptions qui vont à l’encontre
de l’esthétisme, nous n’en sommes guère surpris.
Très belle analyse. Hélas, la plupart des journalistes inféodés au système ont peur de critiquer le jeu hideux prôné par Deschamps et se contentent de relever la "solidité défensive" de la sélection.
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