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mercredi 10 juillet 2024

Le football a gagné

Que se serait-il passé si les Belges, au lieu d'attendre on ne sait quoi et de faire preuve d'un attentisme affligeant, avaient décidé de jouer et de rentrer dans le lard de cette défense bleue qu'on disait infranchissable et qui a cédé par deux fois hier soir ? Que se serait-il passé si les Portugais, qui ont semblé craindre les Français tout au long du match, avaient su profiter de la supériorité criante balle au pied que pouvaient leur donner les Fernandes, les Vitinha, les Bernardo Silva, au lieu de jouer à la baballe pendant cent-vingt minutes? Quel serait le bilan de Didier Deschamps au terme de cet Euro? D'aucuns, qui doivent posséder des actions dans le béton armé, osent encore défendre le sélectionneur, sous prétexte qu'il aurait une fois de plus réussi à porter son groupe jusqu'au dernier carré. Certes, mais de quelle manière? En ne parvenant à battre l'Autriche que sur un but contre son camp, en signant un match horrible face aux Pays-Bas, en concédant un nul affligeant face à une faible Pologne, en ne venant à bout d'une Belgique craintive et friable en défense que grâce à un petit miracle à cinq minutes du terme et en éliminant un décevant Portugal sans marquer de but. Telle est la réalité du tournoi des Bleus: terne, pour ne pas dire minable, pauvre, sans idées, sans imagination, ennuyeux et peu enthousiasmant. Un parcours à l'image d'un sélectionneur fidèle jusqu'au bout à ses conceptions sécuritaires et son idée ultra-défensive du jeu, qui a fait preuve d'un mépris hallucinant pour les esthètes du football, priés de changer de chaîne s'ils n'étaient pas satisfaits, et qui se sont réjouis de la qualification espagnole. Le grand Michel Hidalgo doit se retourner dans sa tombe, lui qui n'hésitait pas à aligner trois milieux offensifs et ne considérait pas que seul le résultat comptait. Dans le football, la manière existe aussi, monsieur Deschamps, et il y a quarante ans, Platini a marqué à lui seul neuf fois plus de buts que votre équipe dans cet Euro.

 

On notera au passage la finesse et l'objectivité de l'analyse du sélectionneur à l'issue de la rencontre, qui pointait un manque de fraîcheur pour expliquer la faillite des siens, faisant mine d'ignorer l'incontestable supériorité technique espagnole et la maîtrise de tous les instants d'un trio Rodri-Ruiz-Olmo qui a surclassé les chevaux de labour adverses dans l'entre-jeu. Contrairement à leurs "homologues" français, les milieux de terrain espagnols ne semblent pas embarrassés avec le ballon mais savent parfaitement combiner, jouer en triangle, proposer une solution perpétuelle au porteur, contrôler le tempo de la rencontre, faire courir l'adversaire et l'user jusqu'à la corde. C'est là toute la différence entre une équipe construite pour jouer, pour assumer la possession, pour prendre le contrôle des opérations, pour savoir faire la différence aussi bien sur attaque placée grâce à une belle capacité de conservation que sur contre-attaque de par la force de percussion des joueurs de couloir, et une équipe bâtie avant tout pour défendre, pour faire bloc, pour résister, pour endiguer, pour contrer, et qui ne semble strictement pas savoir quoi faire du ballon quand elle l'a dans les pieds. Après l'ouverture du score de l'improbable Kolo Muani, les Espagnols ont sérieusement accéléré le rythme pendant une vingtaine de minutes, le temps de claquer deux buts au soi-disant mur bleu, avant de gérer tranquillement les affaires courantes, sachant pertinemment que les Bleus se montreraient incapables de trouver la faille et de proposer un mouvement offensif digne de ce nom.

 

Qui est l'équivalent français de Rodri, formidable joueur, à la fois récupérateur, chef d'orchestre, pierre angulaire et gare de triage du milieu? Tchouameni? Un profil plus proche de celui d'un troisième défenseur central que d'un milieu de terrain, incapable d'assurer la première relance, de casser des lignes et d'impulser le moindre mouvement offensif. Qui remplit chez les Bleus un rôle similaire à celui de Fabian Ruiz, joueur polyvalent capable de récupérer, de briller dans le jeu court, de marquer et de faire marquer? A quoi sert Rabiot sur le côté gauche? Qui peut perturber le système défensif adverse en jouant intelligemment entre les lignes comme Dani Olmo, évoluant en véritable position de milieu offensif? Griezmann? Il a commencé sur le banc hier soir. Qui en équipe de France, mis à part un Mbappé totalement hors du coup mais en qui Deschamps n'a jamais cessé de voir son sauveur potentiel, peut planter un but tel que celui de Lamine Yamal? Imagine-t-on une seconde Kolo Muani, Thuram, Dembélé, Barcola ou Giroud enrouler sans coup férir une frappe en pleine lucarne des vingt mètres? Hier soir, le jeu offensif des Bleus s'est résumé à donner la balle à Dembélé, qui a raté pas moins de treize centres sur seize et dont le compteur reste bloqué à 5 pions en 49 sélections, à Mbappé ou au petit jeunot Barcola et à espérer un miracle, un coup de génie, un exploit personnel qui n'est jamais venu. L'approche subtile de Deschamps qui consiste à aligner sept bourrins et trois dragsters a fait long feu, car contrairement à ce que semble penser le sélectionneur français, le football moderne n'est pas qu'affaire de puissance, de solidité, d'endurance, de force et de vitesse. Il s'appuie aussi sur les affinités techniques, la gestion du rythme et du tempo, la cohérence collective et la complémentarité entre les joueurs, le lien entre les différentes lignes, le souci de construire, bref tout ce qu'ignore ou méprise superbement Deschamps.

 

Hier soir, l'équipe de France a été surclassée par une Roja privée de trois titulaires (Carvajal, Le Normand et Pedri), qui alignait un joueur de 38 ans au poste de latéral gauche, une charnière composée d'un élément qui évolue en Arabie Saoudite et d'un remplaçant au Real Madrid, un milieu de terrain qui a rarement convaincu sous le maillot du PSG, un milieu offensif qui défend les couleurs du RB Leipzig et a terminé sa formation en Croatie, un ailier de Bilbao et un gamin d'à peine dix-sept ans. En un an et demi, De La Fuente, qui a succédé à Luis Enrique et son horripilant football de possession au poste de sélectionneur, a réussi à bâtir une équipe mille fois plus séduisante, performante et compétitive que celle de Deschamps qui est en poste depuis douze ans et qu'il va falloir sans doute se farcir encore deux ans, lui qui a tout fait sauf se remettre en cause après la leçon administrée par la Mannschaft en mars, lui qui n'a rien tenté pour sortir l'équipe de France de son impasse offensive (Cherki? Lacazette? Olise?), lui qui a fait confiance jusqu'au bout à ses grognards Griezmann et Giroud, lui qui s'est obstiné à défendre sa notion agaçante au plus haut point de bloc-équipe, lui qui a retenu pour cet Euro des attaquants incapables de marquer. Au bout du compte, les Bleus ont planté autant de buts que la Roumanie et la Slovaquie, un de moins que la Géorgie et neuf de moins que leurs bourreaux de la demi-finale, à qui on peut désormais souhaiter d'aller au bout, tant le jeu proposé par les Espagnols a pu convaincre les amoureux du beau jeu dans un Euro souvent triste et sans éclat.

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