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jeudi 4 juillet 2024

Deschamps ou le football moche

Nous avions déjà eu l’occasion d’écrire, il y a de cela plus de trois mois, suite au match amical perdu face à l’Allemagne, à quel point les conceptions ultra-sécuritaires et conservatrices de Deschamps nous déplaisaient au plus haut point. Privés de Griezmann, les Bleus avaient évolué sans aucun milieu créateur et subi la loi des Kroos, Gündogan, Wirtz et Musiala, largement supérieurs techniquement. Face à la Belgique, le joueur de l’Atletico Madrid était bien présent, mais aligné dans une position de faux ailier droit au sein du 4-3-3 maison, sans doute pour aider Koundé à contrôler Doku, car une fois de plus le sélectionneur attache semble-t-il plus d’importance aux missions défensives de ses attaquants qu’à leur impact offensif. Griezmann n’a donc jamais pu peser sur le jeu ni faire le lien entre milieu et attaque et a traversé le match comme une ombre, bon soldat qui joue où on lui dit de jouer, toujours prêt à se sacrifier pour le collectif, même si cela veut dire jouer les arrières latéraux bis et passer son match à défendre. Incroyable mais vrai, c’est la plupart du temps à Aurélien Tchouameni qu’est revenue la tâche d’orienter le jeu et de diriger la manœuvre, et le Madrilène s’est plutôt bien acquitté de sa mission, adressant quelques jolies transversales et changeant souvent le jeu à bon escient. Deschamps comptait peut-être sur Rabiot pour assumer ce rôle, mais l’ancien Parisien s’est montré trop timide et discret, et on ne peut que se lamenter de voir un pur récupérateur, qui ferait passer Luis Fernandez pour Socrates et qu’Ancelotti aligne parfois en défense centrale, prendre la direction des opérations en équipe de France. Contre la Pologne, on a même vu Kanté en position de meneur de jeu, et les limites techniques du petit protégé de Deschamps, par ailleurs irréprochable, ont sauté aux yeux.


Au bout du compte, c’est à un nouveau but contre son camp consécutif à une frappe ratée de Kolo Muani, que Deschamps se félicitait d’avoir fait entrer en jeu alors qu’on se demande toujours pourquoi il a été sélectionné, que les Bleus ont dû leur salut contre la Belgique. Marcus Thuram a été, comme à son habitude, tantôt invisible tantôt maladroit, tandis que Mbappé a fait du Mbappé, c’est-à-dire partir du côté gauche et repiquer vers l’axe pour tenter de frapper. Pourquoi sacrifier Dembélé, qui connaît certes trop de déchet dans son jeu mais reste un des rares joueurs français capable d’accélérer balle au pied, de faire des différences individuelles et de créer des déséquilibres dans le bloc adverse ? Pourquoi, alors que le sélectionneur belge avait pris une option très prudente en faisant jouer De Bruyne un cran plus bas aux côtés d’Onana, ne pas se priver d’un des trois milieux défensifs et aligner Griezmann dans l’entrejeu aux côtés de Kanté et Tchouameni, ce qui aurait sans doute eu pour effet d’apporter davantage de liant dans le jeu et permis de titulariser Dembélé à droite ? Même quand Deschamps a compris que la Belgique refusait le jeu et s’en remettait exclusivement à du jeu long en direction d’un Lukaku parfaitement contrôlé par Saliba, il a refusé de modifier son système et de prendre le moindre risque pour modifier le cours de la rencontre, qui aurait très bien pu aller jusqu’à la prolongation si le sélectionneur n’était protégé par une veine sans nom qui lui évite davantage de critiques. Car même si cette équipe de France semble incapable de marquer un but dans le jeu, même si les meilleures occasions face aux Belges provinrent de Tchouameni et non des attaquants, elle gagne. Moche, mais elle gagne.


Peut-être les Bleus iront-ils au bout de cette manière, en se montrant d’une solidité à toute épreuve, en se comportant comme un bloc-équipe particulièrement difficile à manier et à contourner, en comptant sur la complémentarité de la charnière Saliba-Upamecano, l’activité débordante d’Hernandez, les bonnes dispositions de Koundé, l’abattage monstrueux de Kante et le calme olympien de Tchouameni. Mais à vrai dire, voir une équipe qui n’a planté qu'un seul pion sur penalty en quatre matches et fait preuve d’un pragmatisme et d’un réalisme effrayants devenir championne d’Europe serait tout sauf une bonne nouvelle pour le football. Certes, l’équipe de France s’est souvent appuyée sur son imperméabilité défensive pour conquérir des titres, mais en 1984, au cours d’un Euro où Platini avait marqué neuf buts à lui tout seul, elle alignait trois milieux offensifs, et en 1998 et 2000, elle comptait dans ses rangs des joueurs comme Zidane, Djorkaeff, Henry, Trézéguet, Anelka ou Dugarry, d’un tout autre calibre que les peintres Thuram ou Kolo Muani qu’on nous vend comme des éléments de niveau international (on nous aurait donc menti ? Et au passage, pourquoi prendre un Giroud diminué et sur une jambe pour laisser Lacazette à la maison?). En 2006, le joueur synonyme de fraîcheur s’appelait Ribéry, et Barcola, plutôt convaincant contre la Pologne mais sorti à la 60ème minute, aurait pu être le Ribéry de 2024 si Deschamps lui avait donné une vraie chance.


Peut-on se satisfaire de cette bouillie de football qu’on nous propose depuis le début de l’Euro, de cette vision restrictive qui envisage avant tout une équipe comme un bloc défensif et non comme autant de potentialités et d’affinités offensives, de cette idée vieille comme le monde et qui a certes fait ses preuves que c’est avant tout la défense qui fait gagner ? Dans la philosophie du football que nous défendons, la raison d’être des attaquants est de dribbler, de centrer et de marquer et non avant tout d’assurer le repli défensif. Un ailier doit penser avant tout à attaquer et non à seconder son latéral dans les tâches plus ingrates. Le rôle des milieux récupérateurs doit consister à gratter la chique et à la transmettre à ceux qui doivent la manier, qui n’existent pratiquement pas dans cette sélection française, et non à orchestrer eux-mêmes les mouvements offensifs. On nous dit que Deschamps n’a pas de vrai meneur de jeu à sa disposition. Qu’il commence alors à faire jouer Griezmann au milieu et non à l’excentrer sur le côté droit où il ne sert strictement à rien, qu’il prenne pour une fois le risque de commencer le match avec seulement deux milieux défensifs de métier et qu’il fasse comme tout un chacun le constat évident que le danger pour cette équipe de France passe par les ailes et non par l’axe, par les percussions de Mbappé, Barcola, Dembélé et les montées d’Hernandez, tous capables de prendre leur couloir, de déborder et de centrer pour l’avant-centre, si tant est que cette équipe de France en possède un, et que le type à la réception des centres ne s’appelle pas Marcus Thuram. Toutes les équipes présentes en quarts, à l’exception peut-être d’une Angleterre décevante, ont plus séduit que la France, et à vrai dire, tant il est vrai que l’homme à la tête des Bleus défend des conceptions qui vont à l’encontre de l’esthétisme, nous n’en sommes guère surpris.

1 commentaire:

  1. Très belle analyse. Hélas, la plupart des journalistes inféodés au système ont peur de critiquer le jeu hideux prôné par Deschamps et se contentent de relever la "solidité défensive" de la sélection.

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