
L'Euro 2008,organisé
conjointement par la Suisse et l'Autriche, fut marqué par le premier
titre international de l'Espagne, le football brillant proposé par une
Russie joueuse et chatoyante, la faillite de la France et du tenant du
titre grec, ou encore l'indigence des deux nations hôtes. Mais outre la
raclée infligée aux Pays-Bas par Archavine et compagnie en quart de
finale, la grande surprise de la compétition fut sans doute
l'impronostiquable (n'ayons pas peur des néologismes, pour reprendre la
devise de Luis Fernandez) parcours de la sélection turque, qui atteint
contre toute attente le dernier carré, tout en mettant un point
d'honneur à friser l'élimination à chaque tour.
Une histoire à l'italienne
en somme, à ceci près que quand la Nazionale revient de nulle part lors
d'un tournoi, elle rentre généralement à la maison avec le trophée. Si
les Turcs ne poussèrent pas l'outrecuidance jusque-là, ils furent
néanmoins tout proches d'accéder à la finale au bout d'un
mini-feuilleton aux rebondissements improbables qui a dû causer un
certain nombre d'accidents cardiaques sur les bords du Bosphore. Jusqu'à
la dernière minute du dernier match, les coéquipiers de Rüstü
semblèrent presque insubmersibles, portés par une dynamique de réussite
et une bonne dose de baraka qui firent d'eux les surprenants
épouvantails du tournoi.

Tout
commence pourtant de la plus mauvaise des façons pour les hommes de
Fatih Terim, en charge de l'équipe nationale depuis 2005. Pour leur
premier match, ils s'inclinent 2-0 contre le Portugal (buts de Pepe et
Meireles), score qui aurait pu s'alourdir si leurs vainqueurs du jour
n'avaient pas frappé trois fois les montants. Dos au mur, les Turcs se
voient quasiment obligés de remporter leurs deux autres matches de poule
pour se qualifier. Face à la Suisse, ils se retrouvent pourtant menés
d'un but à la mi-temps.
Obligé de prendre des risques, Terim sort un de ses milieux pour faire
entrer Semih Sentürk, l'attaquant du Fenerbahce, qui égalise de la tête
dix minutes après le repos sur un coup franc de Nihat, avant qu'Arda
Turan n'offre la victoire aux siens dans les arrêts de jeu sur une
frappe contrée par Müller.
La
Turquie reste en course mais doit encore battre les Tchèques pour voir
le deuxième tour. Grâce à des buts signés Koller et Plasil, les
coéquipiers d'Ujfalusi tiennent solidement leur billet pour les
huitièmes à un quart d'heure de la fin quand Turan, encore lui, réduit
le score. A la 87ème, Cech commet une rarissime faute de main sur un
centre d'Altintop et offre l'égalisation à Nihat, qui crucifie à nouveau
le portier tchèque d'une superbe frappe enroulée deux minutes plus
tard. Après l'expulsion de Volkan, la Turquie finit le match avec Tunçay
dans les cages mais arrache sa qualification au bout d'un scénario
proprement hallucinant.

Miraculés, les Turcs doivent se coltiner en quart une équipe de Croatie emmenée
par un excellent Modric et qui a terminé en tête de son groupe après
avoir remporté ses trois matches. Après 119 minutes de jeu, aucun but
n'a été marqué et on se dirige tout droit vers la séance de tirs aux
buts. C'est alors qu'Ivan Klasnic, à la réception d'un centre venu de la
droite, prend à contre-pied de la tête un Rüstü parti à l'aventure loin
de son but sur l'action. On pense alors que les Turcs, assommés par ce
coup de massue de dernière minute, ne se relèveront pas. Evidemment, on a
tort.
A
la 121ème minute, alors que tous ses coéquipiers sont montés, Rüstü
tape un long coup franc dans la boîte. Battue de la tête, la charnière
centrale croate laisse le ballon parvenir dans les pieds de Sentürk le
bien nommé, qui fusille Pletikosa d'une puissante frappe du gauche.
Comme dirait Salviac, les mouches ont changé d'âne, et ce sont désormais
les Croates qui ont la tête dans le seau. Lors de la séance de tirs aux
buts qui s'ensuit, Modric, Rakitic et Petric échouent pendant que leurs
adversaires signent un sans-faute. Moralement inoxydable, la Turquie
réussit l'invraisemblable: gagner un quart de finale de championnat
d'Europe après avoir concédé l'ouverture du score à une minute de la fin
du temps réglementaire des prolongations.

Les
survivants affrontent ensuite la Mannschaft lors d'une demie-finale qui
déclenche les passions outre-Rhin, étant donné l'importance de la
communauté turque en Allemagne. Celle-ci bascule dans l'hystérie lorsque
Boral ouvre la marque à la 22ème minute, mais les Allemands répliquent
quatre minutes plus tard par Schweinsteiger. Le public de Bâle n'est pas
encore au bout de ses surprises. Bousculés, l'équipe de Löw prend
l'avantage à la 79ème grâce à Klose, qui profite d'une mauvaise sortie
de Rüstü. Sept minutes plus tard, Sabri s'offre un grand pont sur Lahm
et centre à ras de terre pour l'inévitable Sentürk qui, pense-t-on,
envoie les deux équipes en prolongations.
Mais
cette fois, ce sont les Turcs qui se font surprendre dans les dernières
secondes. En cause sur l'égalisation, Philip Lahm hérite d'un ballon
dans la surface à la 90ème et crucifie Rüstü de près. La Turquie, dont
l'incroyable épopée reste indissociable de cet Euro, ne jouera pas la
finale. Six ans auparavant, l'équipe nationale avait déjà atteint le
dernier carré du Mondial asiatique, mais tant la valeur de l'opposition
que le déroulement des matches donnent à leur exploit de 2008 un relief
supplémentaire.
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