En termes
de talent pur et de finesse technique, Gheorghe Hagi soutient la
comparaison avec les plus célèbres créateurs de l'histoire du jeu.
Incroyablement doué et capable de gestes aussi géniaux qu'imprévisibles,
celui que l'on surnommait "le Maradona des Carpates" pouvait à tout
moment jouer un mauvais tour à la défense adverse. Il savait tout faire
avec sa patte gauche: rendre fous les milieux d'en face avec ses feintes
et ses dribbles, trouver ses attaquants d'une pichenette ou d'une
ouverture de soixante mètres, nettoyer la lucarne d'une frappe soudaine,
conserver la chique en marchant. Ses mémorables coups francs ont forgé
sa légende, et il reste comme l'un des tous meilleurs spécialistes de
l'exercice jamais vu sur un terrain.
Hagi
était un footballeur fantasque et excitant, qui dans un bon jour
pouvait changer le visage d'une équipe à lui tout seul et rendre
meilleurs ses coéquipiers, tant il est vrai que ce soliste d'exception
savait aussi jouer pour et avec les autres. C'était également un joueur
d'une grande inconstance, qui pouvait dsiparaître des saisons entières
avant de ressortir de sa boîte pour mettre tout le monde d'accord,
doublé d'une sacrée tête de lard. Hagi était une diva, une Callas du
ballon rond, exaspérante et admirable, insupportable et grandiose, de la
race des Stoïchkov, Cantona ou Romario.
Le prodige roumain se fait remarquer sous les couleurs du Sportul
Studentesc, club qu'il rejoint à l'âge de dix-huit ans en 1983 et avec
qui il marque près de soixante buts en un peu plus de cent apparitions.
Le Steaua, club de l'armée proche du régime, ne tarde pas à faire venir
Hagi, qui signe un an après le sacre de Dukadam et compagnie en Coupe
d'Europe des Clubs Champions. Le joueur empile les pions et, aux côtés
de Petrescu, Piturca et Lacatus, joue une demie-finale de C1 en 1988
puis une finale face au Milan AC l'année suivante.

Il passe ensuite deux saisons dans l'anonymat de Brescia avant de
revenir en Espagne chez l'ennemi barcelonais, qui l'engage après sa
magnifique World Cup américaine. Sous les ordres de Cruyff, Hagi déçoit
une nouvelle fois et peine à s'intégrer au collectif catalan. A 31 ans,
il signe au Galatasaray, où, au cours des cinq dernières saisons de sa
carrière, il va devenir une sorte de dieu vivant: 60 buts en 130 matches
de Süper Lig, quatre championnats consécutifs remportés, et surtout une
Coupe UEFA conquise en 2000 aux dépens d'Arsenal à Copenhague.
A
35 berges, Hagi, encore capable de faire des misères aux meilleures
formations européennes, s'offre et offre à la Turquie son premier titre
continental. Au bout du compte, il n'aura jamais réussi dans des clubs
dignes de sa classe mais aura brillé dans des formations de moindre
envergure, comme s'il avait besoin de se sentir la star incontestée et
ne supportait pas de devoir lutter pour surpasser la concurrence. Courir
à l'entraînement pour gagner sa place, très peu pour lui. Dans son
esprit, ladite place lui revenait
de droit. Caractériel et égotique, Hagi avait besoin qu'on lui donne
les clés de la boutique, ou plus exactement une couronne et un sceptre,
et que son statut iconique ne soit jamais remis en cause par qui que ce
soit. Il n'était jamais meilleur que dans une position de confort et
quand il faisait l'objet de toutes les adorations et de tous les
fantasmes.
En
2000, fidèle à sa réputation, il fut exclu lors du quart de finale de
l'Euro perdu contre l'Italie, et mit un terme à sa carrière
internationale sur un carton rouge après avoir disputé trois Coupes du
Monde et trois championnats d'Europe avec son pays. Hagi est de loin le
meilleur joueur roumain de l'histoire et l'un des plus brillants
artistes de rectangle vert des années 90. Car s'il avait un tempérament
impossible, il avait aussi la classe des plus grands.

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