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jeudi 13 décembre 2012

La France et les artistes

canto.jpgAlors que Cantona et Ginola, qui n'en finissaient plus d'enchanter l'Angleterre, se virent privés d'un Euro sur la terre de leurs exploits, Mickaël Madar fut retenu par Aimé Jacquet pour le tournoi: la suite de l'histoire donne raison au sélectionneur, mais le choix en dit long sur les rapports compliqués qu'entretient la France avec ses enfants prodiges.


Disons-le tout net: ce pays a un sérieux problème avec les artistes, les mecs doués, parfois géniaux, faciles, les inclassables, les ingérables qui ne rentrent pas dans le moule et défie les tableaux noirs. Si l'Angleterre a idôlatré Gascoigne, si Bilardo a donné les clefs de la boutique à Maradona en 1986, si Romario pouvait prendre toutes les murges qu'il voulait du moment qu'il mettait ses trois pointus le soir venu, la France n'a jamais porté dans son coeur ceux qui ne marchaient pas droit. Si Canto et Gino, deux des footballeurs les plus talentueux à avoir jamais porté le maillot bleu, restent les exemples les plus marquants, ils sont loin d'être les seules victimes de ce schéma normatif. Il faut se souvenir que Djorkaeff, à ses débuts en équipe de France, se voyait souvent taxé d'individualisme, ou que Dugarry, attaquant au profil atypique, se faisait siffler sur tous les terrains de l'hexagone à cause de sa tignasse: les types qui respirent la classe à trois cents bornes portent souvent chez nous leur don comme un fardeau.

Les trois derniers lauréats français du Ballon d'Or jouissaient d'une solide cote de popularité pendant leur carrière et restent aujourd'hui fort appréciés du public. Platini, c'était l'icône ultime des années 80, le leader naturel, un caractère bien trempé de compétiteur mais avant tout un homme intelligent qui n'a jamais fait d'esclandre. Papin, c'était le petit gars du Nord pas forcément plus doué que la moyenne mais qui s'était battu pour arriver au sommet. La France aimait la spontanéité et la simplicité de ce joueur qui ne réfléchissait jamais deux fois avant de frapper.

Zidane, enfin, le plus naturellement artiste de tous avec sa technique bénie des dieux, s'est construit autour du mythe de l'intégration réussie (une histoire que la nation aime à se raconter) et s'est toujours attaché à donner l'image d'un garçon poli, discret, respectueux, proche des malades et des enfants (d'où l'incompréhension générale et la stupeur quand il s'est payé le thorax de Materazzi, laissant apparaître une facette de bad boy que le pays s'était refusé à voir jusqu'alors). Les positions et les avis de Platini, président de l'UEFA, Papin, consultant occasionnel, et Zidane, dirigeant du Real Madrid, sont écoutés, considérés, amplifiés souvent. Récemment, on a même évoqué une possible arrivée de Zizou sur le banc des Bleus dans un futur plus ou moins proche, lui qui n'a pas entraîné la moindre équipe de poussins et ne brille pas franchement par ses qualités d'analyste.

Parlons-en, du sélectionneur, justement. Blanc a fait un boulot plutôt correct à la tête de la sélection, emmenant une équipe à la ramasse jusqu'en quart de finale de l'Euro, mais la fédération ne lui a jamais proposé de prolongation de contrat. La qualité de son travail n'a pas été reconnue à sa juste valeur, éclipsée par les dérapages de certains joueurs. Son successeur, qui n'est en poste que depuis quelques mois, fait déjà l'unanimité après une paire de résultats favorables et une défaite face au Japon bien vite oubliée. La différence de traitement envers les deux hommes est flagrante, et pourtant Blanc fait lui aussi partie de ce que les journalistes appellent les "gagneurs", sur le terrain comme sur le banc.

lo.jpgSimplement, entre le Président et le porteur d'eau, la France a tranché, fidèle à des valeurs qui placeront toujours le tâcheron laborieux au-dessus de l'élégance et de l'aisance. Blanc, c'était le libero qui ne taclait pas, qui jouait la tête haute, sortait des relances de baron et posait des grands ponts aux gardiens adverses: un peu trop Beckenbauer sur les bords pour le footophile moyen, qui lui a toujours préféré Deschamps, le gregario, le besogneux, le milieu limité mais volontaire, le gueulard, le capitaine, le chef de bande. Les instances dirigeantes, les médias et l'opinion publique, qui ont déjà placé Dédé sur un piédestal, restent sous l'emprise d'une éthique col bleu qui se méfie systématiquement du talent, qu'il soit associé ou non à une forme de dilettantisme.

Une grande partie du problème réside dans le fait que trop de gens confondent encore football et marathon et jugent la performance d'un joueur aux kilomètres parcourus et aux litres de sueur versés. Personne ne contestera que l'aspect physique revêt une importance croissante (il suffit de remater France-Brésil 86 pour s'en convaincre), mais personne ne peut à l'inverse nier que des joueurs athlétiquement quelconques parviennent encore à dominer grâce à leur maestria technique. L'exemple ultime se nomme Andrea Pirlo, qui lors du dernier Euro, a survolé le tournoi en marchant, conduisant la manoeuvre avec brio et aisance en alternant passes courtes et ouvertures lumineuses, combinant impeccablement gestion et prise de risque.

Il faut arrêter de tenter de réduire le football à des statistiques et tourner une fois pour toutes le dos à cette approche pseudo-scientifique, car les facteurs les plus importants qui font la valeur réelle d'un joueur peuvent difficilement se voir soumis à la mesure: anticipation, sens du placement, intelligence situationnelle, justesse décisionnelle et gestuelle, prise en compte du contexte tactique, influence technique et psychologique sur l'équipe entre autres. Qu'untel ou untel ait couvert 12 bornes, touché 80 ballons et réussi 86% de ses passes au cours d'un match ne nous dit pas s'il a pris les bonnes options dans les situations de jeu qu'il a rencontrées, s'il a efficacement couvert sa zone et gêné les transmissions, s'il est parvenu à perforer le rideau adverse en jouant vers l'avant ou s'est contenté de faire des passes latérales de cinq mètres.

jav.jpgTerminons si vous le voulez bien (et même si vous ne le voulez pas non mais c'est qui le patron ici écrivez-en des articles bande de consommateurs d'analyse au sens critique émoussé par un abus manifeste de Jean-Michel Larqué) avec le cas Javier Pastore. Voilà un type qui concentre un tel paquet de critiques depuis quelques mois qu'on en viendrait presque à penser que son niveau ne dépasse pas celui du pensionnaire moyen de CFA2. Pour ceux qui aiment les chiffres au point de ne jurer que par eux, rappelons tout de même que l'Argentin a déjà compilé quatorze buts et onze passes décisives en quarante-cinq matches de championnat depuis son arrivée.

Que lui reproche-t-on au juste? De ne pas se replacer, de ne pas faire les efforts défensifs nécessaires, en un mot de ne pas mouiller le mailot. Seulement, Pastore appartient à la catégorie des véritables artistes, c'est-à-dire à celle des cadors à la virtuosité déroutante qui certes ne respectent pas forcément les consignes mais s'avèrent souvent décisifs sur un dribble, une inspiration géniale, une déviation, un geste aussi inattendu qu'efficace. En France, malheureusement, on tend à préférer les Govou et les Malouda (cent trente sélections à deux messieurs dames tout de même), qui cavalent comme des dératés le long de la touche, empilent les kilomètres au compteur mais réussissent un dribble tous les trente-six du mois. Il s'agit simplement de deux façons on ne peut plus opposées d'envisager le jeu, et nous autres à LPC avons choisi notre camp depuis bien longtemps.

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