
Disons-le
tout net: ce pays a un sérieux problème avec les artistes, les mecs
doués, parfois géniaux, faciles, les inclassables, les ingérables qui ne
rentrent pas dans le moule et défie les tableaux noirs. Si l'Angleterre
a idôlatré Gascoigne, si Bilardo a donné les clefs de la boutique à
Maradona en 1986, si Romario pouvait prendre toutes les murges qu'il
voulait du moment qu'il mettait ses trois pointus le soir venu, la
France n'a jamais porté dans son coeur ceux qui ne marchaient pas droit.
Si Canto et Gino, deux des footballeurs les plus talentueux à avoir
jamais porté le maillot bleu, restent les exemples les plus marquants,
ils sont loin d'être les seules victimes de ce schéma normatif. Il faut
se souvenir que Djorkaeff, à ses débuts en équipe de France, se voyait
souvent taxé d'individualisme, ou que Dugarry, attaquant au profil
atypique, se faisait siffler sur tous les terrains de l'hexagone à cause
de sa tignasse: les types qui respirent la classe à trois cents bornes
portent souvent chez nous leur don comme un fardeau.
Zidane,
enfin, le plus naturellement artiste de tous avec sa technique bénie
des dieux, s'est construit autour du mythe de l'intégration réussie (une
histoire que la nation aime à se raconter) et s'est toujours attaché à
donner l'image d'un garçon poli, discret, respectueux, proche des
malades et des enfants (d'où l'incompréhension générale et la stupeur
quand il s'est payé le thorax de Materazzi, laissant apparaître une
facette de bad boy que le pays s'était refusé à voir jusqu'alors). Les
positions et les avis de Platini, président de l'UEFA, Papin, consultant
occasionnel, et Zidane, dirigeant du Real Madrid, sont écoutés,
considérés, amplifiés souvent. Récemment, on a même évoqué une possible
arrivée de Zizou sur le banc des Bleus dans un futur plus ou moins
proche, lui qui n'a pas entraîné la moindre équipe de poussins et ne
brille pas franchement par ses qualités d'analyste.
Parlons-en,
du sélectionneur, justement. Blanc a fait un boulot plutôt correct à la
tête de la sélection, emmenant une équipe à la ramasse jusqu'en quart
de finale de l'Euro, mais la fédération ne lui a jamais proposé de
prolongation de contrat. La qualité de son travail n'a pas été reconnue à
sa juste valeur, éclipsée par les dérapages de certains joueurs. Son
successeur,
qui n'est en poste que depuis quelques mois, fait déjà l'unanimité
après une paire de résultats favorables et une défaite face au Japon
bien vite oubliée. La différence de traitement envers les deux hommes
est flagrante, et pourtant Blanc fait lui aussi partie de ce que les
journalistes appellent les "gagneurs", sur le terrain comme sur le banc.

Une
grande partie du problème réside dans le fait que trop de gens
confondent encore football et marathon et jugent la performance d'un
joueur aux kilomètres parcourus et aux litres de sueur versés. Personne
ne contestera que l'aspect physique revêt une importance croissante (il
suffit de remater France-Brésil 86 pour s'en convaincre), mais personne
ne peut à l'inverse nier que des joueurs athlétiquement quelconques
parviennent encore à dominer grâce à leur maestria technique. L'exemple
ultime se nomme Andrea Pirlo, qui lors du dernier Euro, a survolé le
tournoi en marchant, conduisant la manoeuvre avec brio et aisance en
alternant passes courtes et ouvertures lumineuses, combinant
impeccablement gestion et prise de risque.
Il
faut arrêter de tenter de réduire le football à des statistiques et
tourner une fois pour toutes le dos à cette approche
pseudo-scientifique, car les facteurs les plus importants qui font la
valeur réelle d'un joueur peuvent difficilement se voir soumis à la
mesure: anticipation, sens du placement, intelligence
situationnelle, justesse décisionnelle et gestuelle, prise en compte du
contexte tactique, influence technique et psychologique sur l'équipe
entre autres. Qu'untel ou untel ait couvert 12 bornes,
touché 80 ballons et réussi 86% de ses passes au cours d'un match ne
nous dit pas s'il a pris les bonnes options dans les situations de jeu
qu'il a rencontrées, s'il a efficacement couvert sa zone et gêné les
transmissions, s'il est parvenu à perforer le rideau adverse en jouant
vers l'avant ou s'est contenté de faire des passes latérales de cinq
mètres.

Que
lui reproche-t-on au juste? De ne pas se replacer, de ne pas faire les
efforts défensifs nécessaires, en un mot de ne pas mouiller le mailot.
Seulement, Pastore appartient à la catégorie des véritables artistes,
c'est-à-dire à celle des cadors à la virtuosité déroutante qui certes ne
respectent pas forcément les consignes mais s'avèrent souvent décisifs
sur un dribble, une inspiration géniale, une déviation, un geste aussi
inattendu qu'efficace. En France, malheureusement, on tend à préférer
les Govou et les Malouda (cent trente sélections à deux messieurs dames
tout de même), qui cavalent comme des dératés le long de la touche,
empilent les kilomètres au compteur mais réussissent un dribble tous les
trente-six du mois. Il s'agit simplement de deux façons on ne peut plus
opposées d'envisager le jeu, et nous autres à LPC avons choisi notre
camp depuis bien longtemps.
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