Il y a des
injustices que le passage du temps ne suffit pas à réparer. Dans la
mémoire collective nationale, le nom de David Ginola reste
irrémédiablement associé au traumatisme de la défaite contre la Bulgarie
de novembre 1993, qui priva la génération Papin-Cantona de la World Cup
américaine. Coupable d'avoir voulu jouer le dernier ballon et victime
de ses instincts d'attaquant, il balança la chique directement dans les
pieds de Kremenliev sur un centre raté aux conséquences cataclysmiques.
Qualifié de criminel par Gérard Houllier, le joueur parisien, bouc
émissaire parfait, dut porter sur ses épaules la responsabilité de la
débâcle, lui dont le but splendide avait permis aux Bleus de mener à la
mi-temps contre Israël un mois plus tôt.
Lors
de ses deux dernières saisons dans l'hexagone, Ginola fut
systématiquement sifflé dans tous les stades du pays par des publics
imbéciles, cible de toutes les haines et de toutes les rancoeurs
enfouies. Quand tous les tâcherons du championnat s'essuyaient les
crampons sur ses chevilles, c'est encore lui qu'on traitait de
plongeuse, au lieu d'hurler à l'assassinat. Trop doué, trop beau gosse,
trop parisien, Ginola avait tort d'être ce qu'il était, et chacun de ses
dribbles se voyait taxé d'insolence.
Appelé
à 17 malheureuses reprises, Ginola compte moins de sélections que
Reynald Pedros ou Pascal Vahirua: c'est dire l'ampleur du malentendu.
Pourtant, El Magnifico figure incontestablement parmi les meilleurs
joueurs français des années 90. Ailier naturel à la technique soyeuse
qui maîtrisait mieux que personne le contrôle de la poitrine, il pouvait
tout aussi bien provoquer balle au pied le long de la ligne que revenir
à l'intérieur
pour
chercher la lucarne opposée d'une frappe enroulée, action qui est peu à
peu devenue sa marque de fabrique. Ses changements de rythme
imprévisibles, son coup de rein et son sens du contre-pied le rendaient
très compliqué à prendre en un contre un.
Parfaitement
à l'aise des deux pieds, il était capable de créer le danger et de
déborder sur chaque flanc, et savait se montrer adroit et efficace
devant le but dans une position d'attaquant associé à un pur
avant-centre. Au cours de sa carrière, Ginola a non seulement multiplié
les slaloms chaloupés et les raids en solitaire au coeur de la défense,
mais également distillé un nombre impressionnant de passes décisives et
de centres millimétrés, malgré sa réputation de soliste un brin égoïste.
Souvent éblouissant de classe et de facilité, il faisait partie de la
catégorie des artistes capables de gagner un match à eux tout seuls, sur
une accélération soudaine ou une mine des trente mètres.
Arrivé
de Brest au début de l'année 1992, il devient rapidement un des favoris
du Parc et joue un rôle décisif aux côtés de Weah dans les excellents
résultats de ce qui reste la meilleure période de l'histoire du club. Il
brille également sur la scène européenne, notamment face au Real
Madrid, ce qui lui vaudra l'admiration dela presse espagnole et son surnom hispanisant. Lors du fameux PSG-Real de mars 1993, il marque le troisième but d'une somptueuse demie-volée sur une remise de Bravo, au terme d'une action de rêve. A l'aller, il avait déjà planté un but capital de la tête à Bernabeu alors que les locaux menaient tranquillement 2-0.
L'année
suivante, lorsque les deux équipes se retrouvent en quarts de finale de
la Coupe des Coupes, il offre un caviar à Weah, qui permet à Paris de
s'imposer à Madrid. En trois saisons et demie dans la capitale, Ginola a
remporté un titre de champion (13 buts en 1993-94), deux Coupes de
France et joué trois demi-finales européennes consécutives. Alors qu'on
s'attend à le voir rejoindre l'Espagne et son championnat taillé sur
mesure pour ses qualités, il s'envole pour Newcastle et son riant
climat.
A
l'époque, le choix paraît étrange pour un joueur de son élégance, qu'on
imagine davantage en Catalogne que dans le nord-est de
l'Angleterre. Beaucoup craignent pour ses guibolles et sa carrière,
pensant qu'il ne pourra pas s'exprimer dans un championnat trop rugueux,
artiste incompris dans une équipe de bourrins. Faisant souvent preuve
d'une hargne et d'un courage physique insoupçonnés, il met rapidement
tout le monde d'accord et signe une superbe saison avec les Magpies, qui
comptent jusqu'à dix points d'avance
sur ManU avant de s'effondrer et de laisser filer le titre. Le fervent public de Saint James Park en pince gravement pour son Frenchie, magnifique dans son maillot blanc et noir à col boutonné, qui multiplie les chevauchées et les régalades techniques et approvisionne ses partenaires d'attaque en ballons de qualité.
Au palmarès du prix remis par la Football Writers' Association, il succède à Klinsmann, Cantona, Zola et Bergkamp, ce qui permet de mesurer l'estime que lui portaient les spécialistes d'outre-Manche. Un certain Johan Cruyff, du genre plutôt exigeant, aimait à répéter qu'il considérait tout simplement le Français comme le meilleur joueur du monde: un compliment qui vaut plus que certains trophées.




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