Jusqu'au
bout de son immense carrière, à laquelle il mit un terme à quarante
berges et des poussières après une défaite en finale européenne contre
le Barça en mai 2011, Edwin van der Sar aura eu l'air d'un adolescent
dégingandé. A un poste où la coordination est aussi essentielle que
derrière une batterie, il donnait le sentiment de ne pas toujours savoir
que faire d'un corps trop long et de membres démesurés. En dehors de sa
taille, rien a priori n'impressionnait chez le portier hollandais, grande tige que le moindre choc semblait devoir briser.
Mais
toutes ces impressions disparaissaient lorsque l'on voyait le bonhomme à
l'oeuvre dans ses cages: Van der Sar, capable de réflexes étonnants et
doté d'une détente assez impensable pour un joueur de son gabarit,
n'hésitait pas à aller se frotter aux attaquants adverses dans les airs.
Il se dégageait de ses interventions une autorité et un calme qui
avaient le don de rassurer tout son monde. Dans sa surface, Van der Sar
le faux timide rentrait dans le costume du patron, et même les plus
grands (De Boer, Stam, Thuram, Ferdinand) pouvaient se voir rappelés à
l'ordre par le gardien batave, qui exigeait de ses partenaires une
attention et une application de tous les instants. Modèle de
professionnalisme, il ne prenait aucun match à la légère et abordait
toutes les rencontres avec la même intensité et la même rigueur.
La
force d'Ewin van der Sar résidait dans sa polyalence, si tant est que
le terme puisse s'employer au sujet d'un gardien de but. Si on le
compare avec les grands portiers de sa génération (et ils furent
nombreux), il n'est pas celui qui frappe le plus l'imagination: Buffon,
toujours au sommet, a acquis un statut quasi-légendaire, Casillas
possède un palmarès long comme le bras, Kahn a presque gagné une Coupe
du Monde à lui tout seul et Barthez a marqué les esprits autant par sa
personnalité fantasque que ses parades aberrantes.
Ils
méritent tous le plus grand respect et font à coup sûr partie des
meilleurs gardiens de l'histoire du jeu, mais Van der Sar, incarnation
de la sobriété et du classicisme absolu, n'avait aucun point faible: sûr
dans ses sorties, impressionnant sur sa ligne, lucide et intelligent
dans sa lecture du jeu, il possédait en outre un excellent jeu au pied
qui lui permettait de jouer les liberos derrière le libero. Régulier
comme un métronome
et concentré jusqu'au bout des gants, il ne se trouait pour ainsi dire
jamais et n'avait pas besoin de s'agiter dans tous les sens ou de porter
des tenues aux couleurs criardes pour marquer son territoire. Van der
Sar, ce n'était pas le show façon Campos ou Higuita, mais c'était la
sécurité tous risques.
Titulaire dans les buts de l'Ajax dès la saison 1992-93 (il prend alors
la relève Stanley Menzo, autre grande figure du club), Van der Sar
collectionne les trophées lors de ses années néerlandaises: quatre
championnats, trois coupes des Pays-Bas et surtout la Champions League
et la Coupe Intercontinentale en 1995. Etrangement, il lui faudra
attendre près de dix ans pour ajouter une nouvelle ligne à son palmarès.
Sous le maillot de la Juventus, qu'il rejoint en 1999, il finit
deuxième du championnat en 2000 et 2001 derrière la Lazio puis la Roma.
Poussé vers la sortie par le recrutement de Buffon, Van der Sar signe à
Fulham, une destination clairement au rabais pour un joueur de son
envergure. Il y restera quatre saisons, jusqu'à ce que Ferguson lui
donne à nouveau l'opportunité de jouer dans une équipe taillée pour lui.
A
trente-cinq ans, il retrouve une deuxième jeunesse avec Manchester
United et prouve à tous les sceptiques qu'il fait toujours partie des
meilleurs spécialistes du monde à son poste. Avec les Red Devils, il
remporte quatre fois le titre en six ans entre 2005 et 2011 et s'offre
une seconde Champions League face à Chelsea en 2008, treize ans après le
sacre de Vienne. Battu par Ballack, Belletti, Lampard et Cole lors de
la série de tirs aux buts, il parvient finalement à sortir la tentative
d'Anelka pour donner la coupe aux grandes oreilles aux siens. Nommé dans
l'équipe-type de Premier League en 2011, il ne peut cependant rien face
à Messi et compagnie lors de la finale de Wembley.
Van
der Sar a joué deux Coupes du Monde et trois championnats d'Europe avec
les Oranje, ne parvenant jamais à se qualifier pour la moindre finale.
Comme beaucoup d'anciens de l'Ajax qui remplirent leur vitrine à trophée
sous d'autres maillots (Clarence Seedorf, Dennis Bergkamp
et Edgar Davids notamment), il manque à Van der Sar un titre
international qu'il pourra toujours envier à Barthez, Buffon et
Casillas, tous trois couverts d'or en équipe nationale. Outre ce manque
cruel, il reste regrettable qu'un des plus grands gardiens de tous les
temps ait perdu de précieuses années dans une équipe comme Fulham et
qu'aucun grand club n'ait alors fait appel à lui. Parfois, on se demande
ce que les dirigeants ont dans le crâne.
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