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samedi 12 juillet 2014

Plaidoyer pour l'Argentine

Honnêtement, qui aurait dit que l'Argentine disputerait la finale après sa prestation affligeante contre l'Iran en poule? Une nouvelle fois, l'Albiceleste semblait partie pour se ramasser en beauté au mieux en quart de finale: pas de fond de jeu, aucune inspiration, friabilité défensive inquiétante, tout semblait réuni pour que le scénario moisi de 2010 se répète. 

Il s'agit là d'une première bonne raison de se méfier pour les Allemands: l'Argentine s'est hissée en finale au forceps et sans faire trop de bruit (façon de parler, si l'on considère le bordel monstrueux dans le pays après la demi-finale), un peu à la manière de l'Italie en 2006, qui avait sorti l'Australie puis l'Ukraine pour accéder au dernier carré. Elle a bénéficié d'un tirage au sort favorable (une poule faiblarde, Suisse et Belgique pour arriver dans le dernier carré, on a vu nettement pire) et de l'indispensable coup de pouce du destin lors de la série de tirs aux buts face aux Oranje. Dans ces conditions, comment ne pourrait-elle pas croire en son étoile, et ce même face à une Allemagne plus qu'impressionnante?


La Coupe du Monde de l'Albiceleste s'est déroulée en deux temps. Lors du premier tour, elle s'en est remise au génie de Messi, auteur de quatre pions en trois matches (et quels pions madre de dios) pour vaincre à l'arraché. Sans doute émoussé et plus que surveillé par les défenses, le quadruple Ballon d'Or n'a pas planté lors des trois rencontres suivantes, même si son accélération face à la Suisse fut assassine. L'équipe s'en est sortie presque sans lui, en resserrant les lignes, redoublant de vigilance défensive, montant d'un cran en termes de solidarité et de cohésion. Cette solidité presque inattendue (l'équipe semblait a priori fragile derrière) ne s'évaporera pas en finale et Messi, même sur la jante, peut marquer l'Histoire d'un coup de patte, d'une feinte, d'une fulgurance maison.

La majorité des observateurs et commentateurs (un salut au passage à Vincent Duluc, sur les conseils de qui les Bleus auraient joué avec Rouxel et Horlaville en pointe en 98) ont tendance à présenter cette finale comme un duel manichéen entre le jeu abouti et le collectif huilé de l'Allemagne et le pragmatisme calculateur, la froide rudesse de l'Argentine. Même s'il existe une part de vérité dans cette façon d'envisager les choses, il ne faut pas faire abstraction du contexte, et notamment des absences de Di Maria et Agüero, deux joueurs que l'on peut sans trop s'avancer, sans demander son avis à Raymond la Science et malgré les conditions météorologiques plutôt fraîches pour la saison (et ce même s'il n'y a plus de saison madame Michu nan mais regardez-moi un peu la gueule de mes tomates), considérer comme des éléments de classe mondiale.


Oui, l'Argentine a souvent largement déçu les esthètes qui attendent toujours monts et merveilles de cette grande nation du football. Non, elle ne peut prétendre plus que d'autres, et certainement pas plus que l'Allemagne, mériter de gagner ce Mondial. Oui, elle s'est appuyée sur des principes restrictifs et une vision minimaliste du jeu. Non, elle ne fut jamais séduisante et digne de certaines de ses devancières, à commencer par l'équipe de 2006. Question à cent mille pesos: avait-elle vraiment le choix?

Que l'on repense aux matches de l'Allemagne avant la réjouissante branladao (il aurait vraiment pu être pire que Fred, Brandao?) ingligée à la Seleciao. Après une entrée en matière convaincante contre le Portugal, la Mannschaft passa tout près de la défaite face au Ghana (Jordan Ayew bouffant le 53ème trois contre un de sa carrière à 2-1) avant de se contenter du strict minimum contre les Etats-Unis. En huitièmes, elle fut très sérieusement secouée et poussée aux prolongations par l'Algérie. Contre la France, elle a vaguement contrôlé le match après l'ouverture du score en se créant très peu d'occasions nettes. Au final, elle ne s'est réellement montrée à la hauteur des attentes qu'elle suscite que lors de deux matches sur six. 


La grande différence entre la Mannschaft et l'Albiceleste réside dans le fait que Löw a pu récupérer Schweinsteiger et Khedira en cours de route et ainsi replacer Lahm à son véritable poste, ce qui a permis à l'Allemagne de retrouver ses fondations et de monter en puissance au fil des tours, tandis que Sabella a perdu successivement Agüero et Di Maria. Conséquence: son onze-type n'a pas eu l'occasion de trouver ses repères et d'élever son niveau de jeu à mesure que le tournoi avançait. Faire endosser à l'Argentine le rôle du méchant de service à l'occasion de la finale relève d'un manque certain de discernement et de justesse.

On voit également fleurir çà et là des comparaisons fumeuses entre cette Albiceleste et ses versions 1986 et 1990. Il n'en faut pas beaucoup aux journalisses et aux essepères de tout poil pour établir des parallèles à la mords-moi l'épaule nan pas celle-là l'autre: Maradona-Messi, dix joueurs autour, et en avant Guingamp pour les analyses de comptoir. Primo: l'Argentine de 1986 ne comptait pas dans ses rangs l'équivalent d'un Di Maria, d'un Agüero, d'un Higuain, voire même d'un Mascherano. Secundo: l'Argentine avait collectionné près de vingt-cinq cartons jaunes et trois rouges en 1990, alors que l'équipe de Sabella n'a reçu au total que six cartons en six matches, soit moins que le Brésil et les Pays-Bas et seulement deux de plus que l'Allemagne. Tertio: Maradona avait planté deux doublés (disons un doublé et demi) en quart et en demi-finale en 1986 et seulement un pion en poule, presque l'exact inverse de Messi.


Cette équipe d'Argentine n'a rien d'un sinistre ramassis de bouchers tirée vers les sommets par la grâce d'un cador. Elle compte de vrais beaux joueurs dans ses rangs, et pas uniquement dans le secteur offensif (on pense notamment à Zabaleta, Garay, Mascherano et Perez), et se comporte en véritable équipe. Quand les matches au couteau sont arrivés et qu'elle s'est trouvée diminuée, l'Albiceleste a su s'appuyer sur des valeurs et des atouts qui font partie intégrante de sa culture footballistique: grinta, dureté, âpreté, volonté de contester chaque ballon, de remporter chaque duel, de se bagarrer comme un chat maigre jusqu'à la dernière seconde, en un mot tout ce que le Brésil n'a pas pu ou voulu faire. 

Elle a su refuser collectivement l'idée même d'un nouvel échec et mis un point d'honneur à aller plus loin que son rival honni. L'exemple parmi les exemples? Javier Mascherano, indestructible, infranchissable, monstrueux de détermination même à moitié sonné et dans les cordes. Cette équipe ne matraque pas, ne commet pas d'attentats notoires, ne cherche pas à pourrir le jeu ou à recourir à la provocation: elle se bat, nuance, avec ses armes et avec vaillance. Rien que pour cela, elle mérite davantage de respect et toute notre admiration.

1 commentaire:

  1. Mais bien sûr ! Bel article, une nouvelle fois.

    (un peu trop rapide, la publication : "l'Argentine avait collectionné près de vingt-cinq cartons jaunes et trois jaunes en 1990, alors que l'équipe de Sabella n'a reçu au total que six cartons matches en six matches")

    Depuis le Var, bien à vous,

    Jean-Pierre Liégeois.

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