Le très recommandable
mensuel So Foot a récemment consacré un article à l'insupportable
corporatisme des entraîneurs français, intitulé « Le village
gaulois ». Il est vrai que les techniciens bien de chez nous,
adeptes du 9-1-0 et incapables de la moindre audace tactique, voient
souvent d'un mauvais œil l'arrivée d'hommes de banc étrangers qui
ont souvent la mauvaise idée d'en avoir, des idées (copyright Boby
Lapointe, réécoutez d'urgence l'inégalé « Avanie et
Framboise »). Lors de ses débuts en Ligue 1, Leonardo Jardim
en prit plein la tronche, comme Ancelotti, Ranieri, Bielsa et aujourd'hui
Emery, et fut l'objet de toutes les critiques imaginables,
essentiellement parce que Monaco avait commencé sa saison par deux
défaites (les essepères hexagonaux n'en sont plus à une conclusion
hâtive près). Deux ans après, le Portugais présente un bilan en
béton armé : deux places sur le podium, un quart de Champions
League et un exercice 2016-2017 attaqué sur d'excellentes bases sur
les plans domestique et continental. Nous aimerions que ceux qui
avaient sauté à la gorge de Jardim présentent publiquement leurs
plus plates excuses, mais ils sont sans doute trop occupés désormais
à taper sur Emery, un autre ibérique qui n'a rien compris au
fouteballe.
Les ceusses qui
s'amusaient à éreinter l'entraîneur monégasque lui reprochaient
notamment son style trop défensif, une approche cynique du jeu, une
rigueur synonyme d'ennui et de realpolitik.
Qu'ont-ils à dire maintenant que l'ASM est la meilleure attaque du
continent et la quinzième défense de Ligue 1 ? Nous n'irons
pas jusqu'à écrire que Jardim se réjouisse de voir son équipe
prendre des pions, puisque cette perméabilité doit l'agacer au plus
haut point, mais son équipe démontre qu'elle sait admirablement
attaquer sans se reposer exclusivement sur des contres. Certes, elle
est particulièrement à son aise quand elle est censée subir et
jouer le moindre coup à fond, comme ce fut le cas face à Tottenham,
mais elle galère moins à domicile pour prendre le jeu à son
compte, que ce soit face à des concurrents directs pour le titre
(Paris) ou des formations venues essentiellement pour défendre
(Montpellier vient d'en prendre six dans la musette à Louis II). Le
jeu de Monaco n'est ni stéréotypé, ni unidimensionnel, ni
restrictif. Très souvent, il se révèle même ambitieux et
séduisant.
Le
parallèle entre Jardim et Deschamps semble intéressant à établir,
jusqu'à un certain point. Tous les deux sont catalogués comme
« défensifs » alors que leurs équipes respectives
proposent un football plutôt tourné vers l'attaque. Ils sont avant
tout des pragmatiques qui savent remarquablement s'adapter aux
circonstances et tirer le meilleur de l'effectif à leur disposition.
L'énorme différence réside dans le fait que le sélectionneur
puisse choisir ses hommes quand on demande à Jardim d'obtenir des
résultats avec ceux qu'on veut bien lui donner. Alors qu'à son
arrivée Monaco semblait pouvoir concurrencer le PSG sur le marché
des transferts, le Portugais a vu partir Falcao, James Rodriguez,
Kondogbia, Martial, Abdennour, Ferreira Carrasco et Kurzawa,
pour ne citer qu'eux, et réussi à maintenir un niveau de
performance remarquable, ce qui en soi mérite un grand coup de
chapeau. Le « projet » monégasque a changé en cours de
route pour se transformer en une vaste entreprise d'import-export,
mais Jardim est parvenu à maintenir le cap et à gérer avec brio et
intelligence un effectif qui ressemble tout de même fortement à une
armée mexicaine, pour reprendre l'une des expressions favorites de
monsieur Jacques Monclar, un cador du microphone qu'on ne cite jamais
assez.
Confronté
à une incertitude constante et à une situation toujours susceptible
de changer, Jardim a fait preuve de beaucoup de justesse et de
discernement dans son management. Il a su à la fois s'appuyer sur
quelques cadres (Subasic, Fabinho, Moutinho et Bernardo Silva notamment), lancer des
jeunes avec une grande réussite (Lemar, Mbappe), faire une place aux
nouvelles recrues (Sidibé, Glik) et donner du temps de jeu à
quasiment tout le monde. Statistique parlante et qui montre à quel
point le senhor Leonardo sait partager le gâteau : pas moins de quinze joueurs monégasques ont marqué depuis le début de la saison.
Alors évidemment, il s'en trouvera toujours qui donneront dans le
relativisme et expliqueront qu'il n'est pas très compliqué de
sortir du lot en Ligue 1, du moment que l'on peut compter sur
quelques bons joueurs. Nous leur rétorquerons que le Monaco de
Jardim a tout de même battu en quelques mois le Bayer Leverkusen,
Arsenal, Villareal et Tottenham et qu'étrangement le club qui occupe
actuellement la tête du championnat n'est pas non plus coachée par
un Français.
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