Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'Angleterre n'était pas favorite de cette finale. Parce que Carvajal, joueur à la fois détestable et admirable, ne sait pas perdre une finale, lui qui vient en quelques semaines de remporter la Liga, la Champions League et l'Euro, et parce qu'Harry Kane, décidément maudit, semble incapable de gagner le moindre titre. Parce que les Three Lions, malgré les générations dorées qui se succèdent, n'étaient jamais allés au bout à l'occasion d'un championnat d'Europe. Parce que la Roja avait affiché depuis le début de la compétition un niveau de jeu remarquable et réussi à créer une véritable identité collective, qui faisait cruellement défaut à son adversaire du jour, terriblement indépendant de ses individualités. Parce que l'Espagne était facilement venue à bout de la Croatie et de l'Italie avant de terrasser l'Allemagne et la France, deux des favoris du tournoi, pendant que l'Angleterre galérait et affichait ses limites face à la Slovaquie, la Suisse et les Pays-Bas. Parce que De La Fuente était parvenu à réinventer le football espagnol et à le sortir de l'impasse d'un jeu de possession stérile et sclérosé tandis que Southgate restait terriblement prisonnier de ses schémas et de ses idées. Finalement, au terme d'une seconde mi-temps souvent emballante après un premier acte plutôt fermé, la meilleure équipe de la compétition, mais aussi la plus séduisante, celle qui correspond le plus à l'idée qu'on se fait du jeu, s'est adjugée le trophée, et il s'agit d'une excellente nouvelle pour le football.
Si l'Espagne, qui a remporté tous ses matches lors de cet Euro et a planté quinze buts, s'est montré aussi intraitable et attrayante, c'est parce qu'elle maîtrise parfaitement tous les aspects du jeu et qu'avec cette équipe, le danger peut venir de partout. Pour preuve, pas moins de neuf joueurs différents ont trouvé le chemin des filets dans cet Euro, quand le seul Kolo Muani a marqué dans le jeu pour la France: Morata, Fabian Ruiz, Carvajal, Ferran Torres, Rodri, Nico Williams, Dani Olmo, Yamal et Oyarzabal. La Roja peut trouver la solution au cœur du jeu grâce aux combinaisons du trio infernal Rodri-Ruiz-Olmo, chercher la profondeur grâce aux déplacements de Morata ou Oyarzabal, créer des différences sur les côtés grâce aux dribbles et à la vitesse de Williams et Yamal, bien soutenus par les latéraux Carvajal et Cucurella. Elle dicte le tempo et le rythme du match, alternant moments de gestion et phases d'accélération, et se montre capable de totalement confisquer la chique lorsqu'elle le décide ou de se projeter dans la verticalité, de casser subitement les lignes adverses grâce à son habileté technique et la qualité de ses transmissions, avec des rôles clairement définis et répartis: Rodri en premier relanceur, Ruiz en courroie de transmission, Olmo en véritable meneur de jeu et électron libre entre les lignes, Williams et Yamal en dynamiteurs en chef sur les côtés mais également susceptibles de rentrer à l'intérieur pour créer le surnombre. Tout semble parfaitement huilé, fluide et limpide, et il faut rendre hommage à De La Fuente d'avoir construit un collectif aussi performant en quelques mois seulement.
Ce succès de l'Espagne, c'est aussi la revanche des sans-grade, des seconds couteaux, des anti-stars face aux vedettes surmédiatisées que sont les Mbappé, Bellingham, Kane ou Foden, dont les images inondent nos écrans de télévision chaque semaine. Mis à part Rodri, quatre fois champion d'Angleterre avec City, et Carvajal, sextuple vainqueur de la Champions League avec le Real, il ne faut pas perdre de vue que cette Roja est composée de deux joueurs de l'Athletic Bilbao, d'une charnière formée de deux défenseurs jugés trop faibles pour intégrer l'équipe de France, d'un latéral droit sixième de Premier League avec Chelsea et préféré au flamboyant Grimaldo, d'un milieu de terrain très souvent critiqué pour ses ternes prestations avec le PSG et d'un milieu offensif du RB Leipzig. En finale, le sélectionneur espagnol a fait entrer en jeu Zubimendi et Oyarzabal, deux obscurs joueurs de la Real Sociedad qui a terminé à la sixième place de la Liga et s'est fait éliminer sans gloire par le PSG en huitièmes de finale de Champions League. Davantage qu'une somme d'individualités, ce dont se rapprocherait plus la sélection anglaise, cette Roja est un véritable collectif dans lequel chacun trouve aisément sa place, à l'image d'un Dani Olmo très à son avantage au relais d'un Pedri qu'on pensait indispensable, d'un Zubimendi qui a parfaitement suppléé Rodri en seconde période, ou d'Oyarzabal, improbable buteur décisif après avoir remplacé Morata.
Sans doute par crainte de laisser trop d'espaces à son adversaire, Southgate a adopté une approche très prudente et pragmatique et opté pour un 4-2-3-1 qui ressemblait la plupart du temps à un 4-5-1 à plat avec Bellingham à gauche et Saka à droite, Mainoo, Rice et Foden dans l'axe, le joueur de City étant chargé de la surveillance stricte de son coéquipier en club Rodri. Le plan de Southgate a fonctionné pendant une mi-temps, avant que la Roja ne décide de hausser le ton, de trouver la faille par Williams avant de solliciter Pickford à plusieurs reprises et finalement de conclure l'affaire malgré l'égalisation de Palmer. Le sélectionneur anglais ne pourra en vouloir à ses joueurs mais peut blâmer le calendrier infernal auquel ils ont été soumis, notamment Foden (46 matches avec City), Bellingham (42 matches avec le Real), Saka (47 matches avec Arsenal) et Kane (45 matches avec le Bayern), qui ont semblé totalement cramés et à bout de souffle, sans jus et sans jambes. Il faut au passage remercier les instances internationales du football, qui vont rendre les saisons encore plus épuisantes avec le nouveau format parfaitement illisible de la Champions League, l'indispensable Coupe du Monde des clubs, la Coupe du Monde à 48 équipes, sans oublier que lors du premier tour de cet Euro, on disputé pas moins de 36 rencontres pour éliminer seulement 8 équipes sur 24. Il est de temps de tirer la sonnette d'alarme car le football court manifestement à sa perte, et il ne faut pas compter sur nos dirigeants pour le sauver.
Merci pour ce texte. Participant également à un site de passionnés, je vous souhaite une longue vie et de l'energie !
RépondreSupprimerKhiadiatoulin