Apparemment, il faut attendre
vingt-quatre ans pour mettre une quatrième étoile sur le maillot: c'est le même
laps de temps qui sépare les troisième et quatrième sacres du
Brésil (1970-1994), de l'Italie (1982-2006) et désormais de
l'Allemagne (1990-2014). En ce qui concerne la Mannschaft, ces
vingt-quatre années furent un long chemin vers le renouveau et la
victoire, un parcours de réinvention d'elle-même, une quête d'une
identité nouvelle. Personne ne mérite le titre davantage que cette
Allemagne qui a su tourner le dos à un passé pourtant glorieux pour
renouer avec la gloire. Ce triomphe n'est pas seulement celui de Löw
et de Klinsmann (ne l'oublions pas dans l'affaire, le père Jürgen)
mais de tout un système qui fonctionne merveilleusement bien, à tel
point que le football allemand est souvent à juste titre présenté
comme un modèle. Assurément, ce n'est pas cette Coupe du Monde qui
risque de ternir son image.

Après la défaite au même
stade du tournoi quatre ans plus tôt face à la Bulgarie (le coup
franc de Stoïchkov, la tête de Letchkov, on révise ses classiques
un peu hein bande d'ignares qui si ça se trouve n'avez jamais osé
vous frotter à du Philippe Delerm), c'est la seconde humiliation
mondiale consécutive pour ceux qui sont toujours censés gagner à
la fin. Avec le Mondial 2006 à la maison en point de mire, les
instances dirigeantes décident de saisir la chope par la anse et de
mettre le paquet sur la formation, de se donner les moyens de
produire des joueurs techniques et adaptés au football dit moderne.
C'est à ce moment-là que, d'une certaine manière, l'Allemagne
gagne la Coupe du Monde 2014.
Le parcours de l'Allemagne lors du
Mondial 2002 relève presque de l'accidentel, tient à la nature peu
orthodoxe du tournoi et repose sur les épaules de trois joueurs
(Kahn, Ballack et Klose) entourés par un beau gang de tâcherons à
faire pâlir une équipe de maçons turcs. L'essentiel est ailleurs,
la révolution est en marche («Est-ce une révolte capitaine? / Non,
colonel Moustache, c'est une révolution / Bon ben cinquante pompes
pour tout le monde alors») et avec Klinsmann la Mannschaft retrouve
le plaisir de jouer.
Le monde découvre ce que l'on pourrait appeler
la première vague de talents maison: Podolski, Lahm, Schweinsteiger.
L'Allemagne réussit son tournoi et semble être sur la bonne voie,
comme le démontre encore l'Euro 2008, que les jeunots et un Ballack
en mode taulier terminent à la deuxième place, dix ans après
l'humiliation fondatrice contre la bande à Suker.

Que
lui a-t-il manqué face au futur champion du monde espagnol (si vous
n'aimez pas le jeu des questions-réponses c'est le même tarif on
arrête de protester dans le fond merci sinon j'appelle le colonel et
vous allez en prendre pour votre grade c'est moi que je vous le dis
en plus il a taché son jogging au petit déjeuner et il est pas à
prendre avec des pincettes)? Tout ce qui fait qu'on cale à deux mètres du buffet: un soupçon de métier et de vice, quelques grammes de réalisme (une Allemagne qui manque de réalisme c'est émouvant quand même non?), l'absence de leaders affirmés et d'un patron en défense à la Puyol, leur bourreau en demi-finale.
En 2012, même si la Roja domine la planète tout en agaçant les ennemis du tiki-taka, beaucoup voient la Mannschaft remporter l'Euro. Seulement, alors que tout indiquait la justesse du pronostic, les Allemands se font rentrer dedans par une Italie implacable qui marche sur son adversaire, à l'image d'un Balotelli monstrueux. Sur le pré, les joueurs de Löw ressemblent à des enfants perdus: ils sont dominés dans les duels, battus dans l'envie et la détermination, mangés par les ogres Chiellini, De Rossi., Thiago Motta.
Formidable machine à produire du jeu, la Mannschaft semble désespérément incapable de répondre quand on lui impose un combat physique intense et que, pour paraphraser Lino Ventura, qui s'y connaissait autant en nectar trois étoiles à base de sciure du bois qu'en formules parlantes et lapidaires, le football devient un sport d'hommes. Le talent seul ne suffit pas. Il faut aussi savoir mettre la semelle de temps à autre, faire sentir sa présence et comprendre à l'autre qu'on ne reculera pas, imposer son autorité sur le match en jouant un tantinet des épaules.
C'est sûr ce point que l'Allemagne a énormément progressé, gommant cette carence fatale qui la privait de titre alors qu'elle tournait autour du pot depuis huit ans (demi-finale en 2006, 2010 et 2012, finale en 2008). D'abord, elle s'est trouvée un baron en défense centrale avec Matts Hummels, époustouflant tout au long du tournoi et qui postule clairement au titre de meilleur défenseur du monde.
Ensuite, à bientôt trente ans, Schweinsteiger s'est imposé comme le leader naturel de cette sélection, et il a donné l'exemple en termes de combativité et d'agressivité, retournant sans cesse au charbon, multipliant les tacles et les interventions, finissant la finale le visage en sang à force de s'être frotté aux poètes argentins (il fut peut-être le meilleur joueur de la rencontre). Enfin, Neuer est un monstre qui relègue les autres gardiens au rang d'aimables pantins désarticulés. Quand on a trois gladiateurs de cet acabit dans ses rangs, on ne craint pas grand-monde.
On savait cette équipe pétrie de talent, et avec Neuer le mutant, Lahm, Hummels, Kroos, Khedira, Schweini, Özil, Müller, Götze ce héros, l'inusable Klose, Schürrle, Löw disposait d'un effectif d'une qualité exceptionnelle (imaginez deux secondes le massacre avec Reus et Gündogan dans le coup). Encore fallait-il qu'elle réponde présent et n'explose pas en vol à l'heure fatidique et ce qui est remarquable, c'est qu'elle a su faire preuve d'autant de caractère, de maîtrise et de sérénité que de justesse technique ou d'inspiration.
Elle a géré son quart contre la France comme une vieille roublarde, dézingué le Brésil qui n'avait pourtant qu'un défi physique à lui proposer et su rester patiente et attendre son heure sans paniquer lors de la finale, sa finale au bout du compte. Le but de Götze, superbe par ailleurs, est venu récompenser le travail admirable effectué depuis des années au sommet du football allemand et par un sélectionneur d'exception qui n'a pas hésité à lancer Schürrle à la place de Kramer après trente minutes. Pour le jeu, pour ce que doit être ce sport, pour l'intelligence et le talent, qu'il nous soit permis d'applaudir des deux mains.
Merci et chapeau m'sieur pour cette collection d'articles, ç'a été un plaisir de suivre le mondial éclairé chaque jour par vos lumières.
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