On aurait raisonnablement pu penser que
le départ d'Harry Kane, meilleur buteur de l'histoire du club,
allait gravement porter préjudice aux Spurs, probablement condamnés
à rentrer gentiment dans le rang et à oublier leurs ambitions
européennes. Manchester United et Chelsea, deux budgets monumentaux,
voire Newcastle, quatrième la saison dernière, faisaient figure de
favoris pour intégrer le top four derrière le monstre à trois
têtes qui occupe actuellement le podium de la Premier League. Mais
United a déjà concédé onze défaites en 28 matches et souffre
d'une attaque en berne (39 buts marqués, 14ème attaque du
championnat seulement), Chelsea, à l'effectif boursouflé, a
totalement perdu ses repères et Newcastle, malgré le pognon
saoudien, est redevenu une équipe somme toute banale et de milieu de
tableau. Dans ce marasme relatif, c'est bien Tottenham qui sort son
épingle du jeu, puisque les Spurs, après leur remarquable victoire
4-0 à Villa Park face à leurs principaux concurrents pour la
quatrième place, occupent la cinquième place du classement avec un
match en retard à jouer contre Chelsea et peuvent en cas de succès
contre les Blues atteindre l'épatante moyenne de deux points par
match. Ils ont signé 16 victoires en 27 matches, n'ont marqué que
quatre buts de moins que City et sa redoutable attaque et ont récolté
treize points lors des six dernières journées, avec comme seul
accident de parcours une défaite à domicile contre Wolverhampton,
une des équipes surprises de la saison anglaise.
Cette saison réussie de l'après-Kane
porte indéniablement la marque d'Ange Postecoglou. L'entraîneur
grec, ancien sélectionneur de l'Australie, a eu la lourde charge de
succéder à des managers de renom comme Mourinho et Conte et a tout
de suite séduit les fans par ses choix tranchés et son jeu
résolument porté vers l'offensive. Nommé entraîneur du mois en
septembre et octobre alors que son équipe caracolait en tête devant
tous les supposés cadors, Postecoglou a installé un 4-2-3-1 qui
fonctionne à merveille et a en partie fait oublier que le goleador
maison s'était envolé vers d'autres cieux. Peu soucieux du statut
de ses joueurs, il a déboulonné l'inamovible paire formée par
l'Uruguayen Bentancur et le Danois Hojberg au milieu de terrain (130
sélections à eux deux), deux joueurs titulaires lors de la dernière
Coupe du Monde, pour la remplacer par un tandem de milieux composé
de l'international malien Yves Bissouma, placé en sentinelle devant
la défense, et de l'homme à tout faire sénégalais Pape Matar
Sarr, époustouflant d'activité contre Aston Villa. Il a également
accordé sa confiance au jeune italien Destiny Udogie, transfuge de
l'Udinese, une jolie trouvaille qui s'est progressivement imposée
comme une évidence au poste de latéral gauche. Vicario défend les
cages et la défense s'articule autour de l'axe central Romero-Van
de Ven, impeccable de fiabilité et de complémentarité, tandis que
l'Espagnol Pedro Porro occupe le flanc droit de l'arrière-garde.
Très à l'aise dans le jeu de
contre-attaque et la verticalité, le secteur offensif, qui fait la
part belle à la largeur et aux mouvements sur les côtés, est conçu
de façon à pourvoir Heung-min Son, placé en position de véritable
avant-centre, en ballons de qualité. Le Sud-Coréen, atout numéro
un des Spurs, reste le meilleur réalisateur (14 buts, quatrième
meilleur buteur du royaume à égalité avec Solanke et Bowen) et
passeur (8 passes décisives, seuls Watkins, Gross, Trippier, Salah
et Neto font mieux) de l'équipe et offre une nouvelle saison de
toute beauté. Il est parfaitement soutenu par la recrue James
Maddison, meneur de jeu à l'ancienne et formidable animateur que
d'aucuns que nous ne citerons pas verraient bien diriger le jeu de
l'Angleterre lors du prochain Euro malgré ses cinq petites
sélections. Recruté pour pas moins de quarante millions d'euros, le
natif de Coventry, auteur de quatre buts et sept passes décisives en
championnat, donne pleine satisfaction et a été nommé meilleur
joueur de Premier League en août, signant des débuts tonitruants
sous sa nouvelle tunique. Le flanc droit se voit confier au dévoreur
d'espaces et fin dribbleur Dejan Kulusevski, qui multiplie les
chevauchées balle au pied façon Gareth Bale et compte six jolies
réalisations au compteur, bien que son influence dépasse largement
le simple cadre statistique. Son pendant à gauche n'est autre que
l'excellent Gallois Brennan Johnson, vif, tonique et explosif. A eux
quatre, Kulusevski, Johnson, Maddison et Son compilent pas moins de
28 buts et 24 passes décisives, un total qui en dit long sur leur
entente, même si nous autres à LPC, contrairement aux consultants
télé et à ce que le présent papier pourrait laisser croire, ne
sommes pas obsédés par les chiffres.
Autre fait remarquable dans la saison
de Tottenham : l'équipe a toujours marqué au moins un but à
chaque match de championnat, ce qui veut dire que les joueurs de
Postecoglou ont planté lors de 26 rencontres consécutives, un
chiffre unique pour un entraîneur lors de sa première saison dans
l'élite anglaise depuis Arthur Rowe lors de la saison 1950-51 avec
ces mêmes Spurs. On pourra toujours dire que le club ne dispute
aucune compétition européenne et peut donc consacrer toute son
énergie à la Premier League, d'autant qu'il a été éliminé au
quatrième tour de la Cup par City, cela n'en reste pas moins un
exceptionnel accomplissement (par comparaison, le PSG qui surdomine
une Ligue 1 où ne règne pas la même concurrence, n'a marqué que
lors de 17 journées consécutives). Mais le plus dur commence
peut-être pour les Spurs, désormais clairement identifiés comme un
candidat au top four et qui ne peuvent plus se cacher, lors de ce
sprint final qui débute maintenant. En effet, le calendrier qui les
attend n'est pas piqué des hannetons : déplacement à West Ham
le 2 avril et à Newcastle le 13, réception de City et Arsenal,
lancés dans la course au titre, à une semaine d'intervalle, puis
déplacement à haut risque à Anfield début mai. Ce qui peut
rassurer Postecoglou avant de s'attaquer à un tel festin est le fait
que Villa jouera également City, Arsenal et Liverpool d'ici la fin
de saison, qui s'annonce passionnante à tous les niveaux. Il n'est
pas certain que les grosses cylindrées de Premier League soient
particulièrement ravis à l'idée de croiser la route de ces
redoutables Spurs, capables de trouver systématiquement la faille
dans n'importe quelle défense, résilients physiquement et armés
dans toutes leurs lignes.
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