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lundi 28 septembre 2015

Lloris, l'exception française

Dans un monde parfait, tous les grands joueurs évolueraient dans les grands clubs, les joueurs moyens dans les clubs moyens et les brêlons chez les brêlons. Oui mais voilà, dans un monde parfait, Magic System n'existerait pas, le Saint-Emilion grand cru serait à deux euros le litre et Macron aurait sa carte des Républicains (ah on me dit qu'il l'aurait déjà dans le fond, au temps pour moi). Il existe donc quelques cadors qui ont choisi d'être les borgnes aux royaume des aveugles (Sneijder à Galatasaray, Eto'o à Antalyaspor, Nani à Fenerbahce, Cambiasso à l'Olympiakos) ou qui, faute de mieux et parce qu'il faut bien bouffer ma bonne dame, végètent dans des équipes trop petites pour eux. 

Dans cette catégorie, toutes proportions gardées, se trouve un certain Hugo Lloris, 28 ans, gardien de l'équipe de France, 70 sélections au compteur, qui attaque tranquillement sa quatrième saison à Tottenham. Puisque De Gea est finalement resté à United suite à une improbable histoire de papiers envoyés deux minutes trop tard, le portier des Bleus n'est pas devenu celui des Red Devils comme beaucoup le pressentaient. Le voilà donc reparti pour au moins une saison sous le maillot des Spurs, lui dont le contrat court jusqu'en 2019.


Alors, me rétorquerez-vous avec l'esprit de contradiction qui vous a valu de vous faire moucher plus d'une fois par votre prof de philo, ce n'est pas si mal, Tottenham : un vrai club à l'anglaise, l'ambiance bouillante de White Hart Lane, les derbies contre Arsenal, tout ça. Ouaip. Sauf que l'équipe a encaissé plus de cinquante pions la saison dernière, que le dernier trophée du club remonte à 2008 et qu'on voit mal, malgré la victoire retentissante contre City, comment les Pocchetino boys pourraient se qualifier pour la prochaine Champions League. Et c'est bien là que le bât blesse: en quatre saisons à Londres, Lloris n'aura participé qu'une fois à la grande coupe d'Europe, ce qui est réellement problématique pour un gardien international. 

Le portier de l'Italie joue à la Juve, celui de l'Espagne à United, celui de l'Angleterre à City, celui de l'Allemagne au Bayern, et celui de la France à Tottenham: cherchez l'intrus. Si l'on considère la dernière liste de Deschamps, il fait partie des six joueurs sélectionnés qui ne disputent pas la CL cette saison, avec Ruffier, Mandanda (les deux autres gardiens), Kondogbia, Cabaye et Sissoko (oui, Sissoko est bien en équipe de France).


Certains avaient affirmé que Lloris passait un cap en quittant Lyon pour Tottenham, en partie parce qu'ils sous-estiment la Ligue 1 et surestiment la Premier League, le meilleur championnat du monde soi-disant, l'intensité maximale à chaque match, la pression énorme, les meilleurs attaquants de la planète, attention affiche exceptionnelle aujourd'hui sur Canal et tout le toutim. On se calme et on boit frais. Les clubs anglais ont pris des taules à l'occasion de la première journée de la phase de poules et la saison dernière, il n'y avait pas un seul pensionnaire de Premier League en quart de finale. Lewandowski, Higuain, Ronaldo, Messi, Suarez, Neymar, Mandzukic, Bacca, Aubameyang, Cavani et Griezmann ne jouent pas en Angleterre.

Franchement, existe-t-il une différence si énorme entre l'OL, dauphin du PSG à l'issue du dernier championnat, et les Spurs, qui oscillent entre la quatrième et la sixième place outre-Manche? Clairement non. Pour vraiment franchir un palier, Lloris doit signer dans un des dix meilleurs clubs d'Europe et jouer la gagne en championnat. Inutile de dire qu'il en a largement les capacités. Parce que sauver les meubles derrière Kyle Walker week in week out pour aller gratter une place en Ligue Europa, on ne voit pas bien l'intérêt pour un joueur de sa trempe.


Lloris ne donne pas l'impression d'avoir beaucoup progressé en Angleterre. Il reste assurément un excellent gardien, mais si l'on considère la hiérarchie européenne, il est clair qu'il est désormais loin de pointures comme De Gea ou Neuer, qui savent faire ce que font les spécialistes du poste dans les équipes dominantes : rester concentré 90 minutes et claquer la parade importante contre Southampton ou Hanovre et sortir le grand jeu lors des matches couperet du printemps.

Ce n'est pas parce que l'on est plus exposé et que l'on a plus de boulot dans les cages que l'on devient un meilleur gardien. Barthez a passé la majeure partie de sa carrière en bleu derrière un extraordinaire quatuor défensif et a su se montrer décisif en plusieurs occasions. Buffon a joué derrière des tueurs comme Thuram, Cannavaro ou Nesta, et il semble probable que sa carrière reste dans quelques mémoires.


Lloris est un titulaire indiscutable en sélection de par son talent pur et son expérience, mais également parce que la concurrence n'a rien d'effrayant. En signant à Tottenham, il pensait certainement pouvoir rejoindre assez rapidement une grosse cylindrée de Premier League, mais United, Chelsea et City peuvent tous compter sur un gardien solide et jeune. Plutôt que de tenter de débaucher l'international français, Wenger a préféré jeter son dévolu sur Cech et ses trente-trois printemps. Et si, faute de briller régulièrement dans la plus relevée et la plus médiatisée des compétitions de clubs, Lloris avait finalement vu sa cote baisser auprès des observateurs et recruteurs?

Il est à un âge intermédiaire où il n'est plus question de potentiel (le Barça a misé sur celui de Ter Stegen par exemple) et où l'expérience n'importe que moyennement. Plus le temps passe et plus la tranquillité dans laquelle il est installé ressemble à un piège. Le risque d'enlisement et de stagnation existe. Il se dit heureux à Tottenham, où il est très apprécié du staff et des fans et dont il est devenu le capitaine, mais le bien-être ne remplit pas l'armoire à trophées, et il ne pourra décemment se satisfaire éternellement de cette situation. S'il veut marquer l'histoire de son poste et gagner des titres, il devra à terme trouver une porte de sortie et ne pas se planter dans son choix. Une remise en question s'impose, car à bien des égards, le confort est l'ennemi numéro un du champion.

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