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jeudi 15 février 2024

Luis Enrique, envers et contre tout

Luis Enrique est clairement un personnage clivant dont l’attitude, notamment envers les journalistes, le comportement et les décisions controversées n’en finissent pas de secouer le cocotier du football hexagonal. Droit dans ses bottes, fidèle à ses principes (même s’il a dû en partie renoncer à certains, le football de possession qu’il souhaite mettre en place étant difficilement compatible avec les qualités naturelles de son effectif), exigeant à l’extrême (on l’a ainsi vu engueuler copieusement ses joueurs à Lyon alors que son équipe menait quatre à zéro), souvent à la limite de l’arrogance, le technicien espagnol semble totalement faire fi des nombreuses critiques à son égard et uniquement obsédé par le jeu produit par son équipe. Certains, comme Daniel Riolo, la voix majeure de l’After Foot sur RMC, qui le surnomme Géo Trouvetou et le compare à une sorte de savant fou, trouvent ses choix incompréhensibles et incohérents et l’accusent de toujours vouloir sortir un lapin de son chapeau pour avoir l’air plus malin que tout le monde (ainsi son choix de titulariser Beraldo en lieu et place de Lucas Hernandez face à la Real Sociedad, alors que le jeune Brésilien a clairement pris le bouillon à son poste de latéral gauche). D’autres considèrent qu’il ne s’agit pas du coach adéquat pour le PSG, un club qui devrait soigner sa communication, améliorer son image et chercher à arrondir les angles avec les médias. D’autres encore, dont nous faisons partie, l’admirent pour sa droiture, ses idées fortes, son intransigeance et sa faculté à absorber beaucoup de la pression qui pèse constamment sur une équipe qui ne joue jamais assez bien (quand le Real gagne avec un éventuel petit coup de pouce arbitral, on dit que c’est du classique, mais quand Paris s’impose, on entend toujours qu’il l’a fait sans convaincre ni rassurer, sempiternelle et usante rengaine des médias français). 


Disons-le tout net, le travail effectué par Luis Enrique depuis son arrivée sur le banc parisien est en tous points remarquable et tranche avec le pénible intérim assuré par ses prédécesseurs Pocchetino et Galtier. Il est arrivé à la tête d’un club qui venait de perdre coup sur coup Messi, Neymar et Verratti et qui avait engagé un bras de fer contractuel avec sa grande vedette Mbappé. On a vu des contextes nettement plus favorables pour débarquer au sein d’un club, mais l’Espagnol s’est lancé avec envie et conviction dans l’opération reconstruction (et non séduction, car au fond il s’en fiche éperdument de séduire et le fait de plaire ne l’intéresse que moyennement). Pourtant, les critiques n’ont pas tardé à fuser, et ce dès après le premier match de championnat contre Lorient. C’était donc ça, la patte Luis Enrique ? Un jeu fondé sur la possession pour la possession, le contrôle pour le contrôle, dénué de la moindre étincelle et de la moindre accélération, un football hispanisant jusqu’à la caricature, ennuyeux, rébarbatif, soporifique au possible ? Après ce triste match nul stérile, l’entraîneur parisien se dit pourtant satisfait du contenu. Premier contre-pied, bien d’autres suivront. Vient ensuite la déroute à Newcastle en Champions League, attribuée en grande partie à l’Espagnol qui reste fidèle à son 4-2-4 suicidaire face à la férocité et l’engagement physique des Magpies. Une fois encore, Luis Enrique maintient face à la presse qu’il a eu raison de ne pas changer de système en cours de match, alors que toute l’évidence des faits est contre lui. Cette manière constante de nier la réalité agace furieusement mais braque les projecteurs sur sa personne pendant que son équipe peut tranquillement continuer sa progression et assimiler ses principes. Il y a du Mourinho dans cette façon d’accaparer la lumière pour laisser respirer ses joueurs, et du Bielsa aussi, dans cette forme d’autisme assumé, de communication à œillères, d’obsession absolue pour le rectangle vert.


Beaucoup d’éléments sont à porter au crédit du technicien espagnol, à commencer par l’éclosion spectaculaire de Zaïre-Emery, qui n’avait pas droit à la moindre minute de jeu avec Galtier et dont il a su faire un cadre et un international. Match après match, le titi parisien n’en finit pas d’épater son monde du haut de ses dix-sept ans. Il a également parfaitement géré le cas Barcola, dont la signature après seulement quelques mois de Ligue 1 dans les pattes avait généré une vague de scepticisme. Titulaire et buteur face à la Real, l’ancien Lyonnais forme désormais avec Dembélé et sa majesté Kylian un redoutable trio offensif qui commence à faire trembler pas mal de guibolles en France et en Europe. L’entraîneur parisien a su relancer des joueurs qui semblaient totalement à la cave, comme Fabian Ruiz et Carlos Soler. Le premier cité n’est certes pas franchement étincelant mais est revenu à un niveau correct qui en fait une valeur sûre de l’entre-jeu et correspond davantage aux attentes qu’avait suscitées l’arrivée d’un élément majeur du Napoli. Quant au second, même s’il se voit limité à un rôle subalterne, il a parfois su convaincre dans un emploi inattendu de latéral droit, une véritable trouvaille tactique. Luis Enrique a aussi redonné confiance à Marquinhos, friable mentalement depuis la Bérézina madrilène de 2022 et qui a sorti une prestation impeccable et digne d’un leader contre la Real, et accordé une place de choix à Danilo Pereira, joueur fiable et bon soldat qui fait partie des chouchous du Parc. La gestion du cas Asensio, utilisé au compte-gouttes mais souvent décisif et au rendement convaincant, est un modèle du genre, tout comme celle de Mukiele, toujours présent au rendez-vous lorsqu’on fait appel à lui. Évidemment, on pourra toujours arguer que seul le PSG peut se permettre de claquer 150 millions pour deux avants-centre qui jouent finalement peu, mais il faut saluer chez Luis Enrique cette volonté constante de vouloir impliquer tout son monde et de n’oublier personne, de pratiquer un turnover rafraîchissant après des années de sclérose absolue et de ne pas hésiter à mettre sept titulaires au frais contre Lille à quelques jours du rendez-vous avec la Real, y compris l’inamovible Mbappé, guère habitué à devoir se plier aux exigences de son coach.


Beaucoup voyaient dans cet exercice une saison de transition et le début fragile d’un nouveau cycle suite à la refonte en profondeur de l’effectif, mais les faits sont en train de leur donner tort. Fort de ses onze points d’avance, le PSG écrase la Ligue 1, même s’il convient de reconnaître la faiblesse relative de la concurrence (Marseille plus que laborieux, Lens moins flamboyant, Monaco intermittent du spectacle, Rennes décevant, Nice souvent stérile, Lyon à la rue), et il ne fait aucun doute qu’une nouvelle consécration domestique attend le club au printemps. Qualifié pour les quarts de finale de la Coupe pour la première fois depuis 2021 (la saison dernière, l’élimination face à l’OM avait été très mal vécue par les supporters), Paris pourrait fort bien signer un fort joli doublé s’il franchit l’obstacle rennais. Toujours en course en Champions League, le club entrevoit les quarts pour la première fois depuis un bail et semble avoir passé un cap psychologique, même si d’aucuns diront qu’il a eu beaucoup de chance de tomber sur la Real Sociedad, une formation certes cohérente et bien organisée mais aussi terriblement limitée offensivement, après un parcours chaotique en phase de poules. Là encore, il faut saluer le travail préparatoire de Luis Enrique, qui a tout fait pour dédramatiser l’échéance européenne et éviter que l’objectif Champions League ne vire encore une fois à l’obsession. Mesuré, lucide quant à la qualité de son groupe, conscient de la dimension presque inaccessible d’un sacre européen, l’entraîneur parisien n’a sans doute pas réussi à banaliser dans les têtes le rendez-vous des huitièmes (on l’a clairement vu au cours d’une première période ratée dans les grandes largeurs), mais il a fortement contribué à dégonfler l’événement. En lice pour tous les trophées mis en jeu au cours du présent exercice, le PSG peut potentiellement s’offrir une fin de saison enthousiasmante, et il le doit en grande partie au grand monsieur qui est assis sur son banc

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