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jeudi 25 avril 2024

Maradona, le plus grand des grands

C’est l’éternelle question qui anime tout taré de football digne de ce nom : qui est le plus grand joueur de tous les temps ? Les plus jeunes, coupables d’un déficit d’histoire footballistique, hésiteront entre Messi et Ronaldo, stars surmédiatisés collectionneurs de buts, de vidéos Youtube et de Ballons d’Or, véritables icônes modernes. Les quadragénaires qui ont eu la chance de voir passer pas mal de cadors du ballon rond évoqueront plus naturellement Zidane et sa technique soyeuse, la finesse et la puissance dévastatrice de Ronaldo, le sens du but inné de Van Basten, l’extraordinaire prestance de Maldini, la maestria de Baggio, l’insolente facilité de Romario, le toucher de balle unique de Bergkamp. Les plus anciens songeront évidemment à Pelé et ses trois Coupes du Monde, à Di Stefano la légende du Real Madrid, aux arabesques de Cruyff, à la classe insensée de Beckenbauer, aux neuf buts de Platini lors de l’Euro 84. Mais selon nous un joueur met tout le monde d’accord de par son exceptionnel talent naturel, son palmarès plus que respectable (comme disaient Chirac et Casanova, rien ne vaut un palmarès) et la légende qu’il véhicule : ils s’agit évidemment de Diego Maradona, idole des peuples argentin et napolitain, gamin aux pieds d’or (pibe de oro pour les plus bilingues d’entre vous), symbole éternel de la revanche des petits sur les puissants de ce monde, nabot de génie, dribbleur insaisissable et court sur pattes, buteur et passeur de légende, archétype du gaucher unijambiste, personnage controversé et cocaïnomane notoire, chantre péronisto-castristo-chaviste de l’anti-américanisme, petit protégé de la Camorra napolitaine, grand ennemi de la FIFA et de Joao Havelange, ange des pelouses matraqué par les pires bouchers de son époque.

 

Maradona, c’est d’abord et avant tout le Mundial 86 au Mexique, qui reste son chef-d’œuvre absolu. Jamais un joueur, à part peut-être l’immense Pelé, n’avait tant dominé la reine des compétitions. Il commence son festival en martyrisant la Corée du Sud, qui ne peut l’arrêter qu’en commettant faute sur faute et en multipliant les cartons. Contre l’Italie, il égalise subtilement d’un tir croisé du gauche (naturellement) sur une merveille de passe de Valdano, avant de mettre la misère aux Bulgares et de délivrer un centre parfait pour Burruchaga. En huitièmes face à l’Uruguay, il trouve la barre de Fernando Alvez sur un magnifique coup franc des trente mètres et signe quelques actions de grande classe. La suite appartient à l’Histoire : la fameuse main de Dieu contre l’Angleterre, joli pied de nez à Margaret Thatcher et sa guerre des Malouines, suivi de ce qui reste sans doute le but individuel le plus incroyable de tous les temps, ce but qu’on a qualifié de but du siècle et qui a fait pleurer de bonheur le commentateur argentin, qui remercia Dieu d’avoir inventé le football et Maradona. En demi-finale face à la Belgique, il devance la sortie de Pfaff pour ouvrir le score avant de passer en revue toute la défense adverse et de doubler la mise pour qualifier les siens pour la finale. Contre l’Allemagne de Forster, Matthaus et Rummenigge, il ne marque pas mais offre la balle du titre à Burruchaga qui s’en va battre Schumacher. Evidemment, Maradona, qui soulève le trophée dans un Estadio Azteca extatique, est élu meilleur joueur du tournoi et marque à jamais la grande histoire du football.


Après un passage mitigé à Barcelone, où il se met surtout en évidence en provoquant une bagarre générale contre l’Athletic Bilbao (22 buts marqués en deux saisons de Liga tout de même), Maradona signe à Naples en 1984 pour ce qui marque le début d’une grande histoire d’amour entre une ville et son héros, pour ne pas dire son saint. Lors de la saison 1983-84, le Napoli ne finit que douzième du championnat, et le public napolitain, venu en masse accueillir la star argentine (70000 personnes au San Paolo pour sa présentation), attend monts et merveilles de Maradona. Il espère surtout que leur club, issu d’une ville pauvre du sud de l’Italie, prendra enfin sa revanche sur les barons friqués du nord, à savoir l’Inter, le Milan AC et surtout la Juventus de Platini. Au terme de la première saison de Maradona en Campanie, le Napoli ne termine que huitième, malgré les quatorze buts de son nouveau numéro 10, et c’est l’Hellas Vérone qui est sacré champion. La saison suivante, le club remonte à la troisième place et l’Argentin plante onze pions, alors que le titre est une nouvelle fois adjugé à la Juventus.


Auréolé de son nouveau statut de champion du monde et de vedette planétaire, Maradona, au sommet de sa gloire, mène son équipe jusqu’au titre en 1987, un véritable exploit qui lui vaudra une aura iconique dans la cité napolitaine (aujourd’hui encore, on peut voir des statues de Maradona dans la ville). Le Napoli termine la saison avec 42 points en 30 journées, devance la Juventus de trois points, et le génial Argentin marque à dix reprises. L’année suivante, Maradona, qui n’est pourtant pas un pur attaquant, se voir sacré capocanoniere avec 15 réalisations, devant son coéquipier brésilien Careca, qui lui est un véritable avant-centre. En 1989, Naples remporte le Coupe UEFA en éliminant successivement le Lokomotive Leipzig, Bordeaux, la Juventus, le Bayern et le VFB Stuttgart (excusez du peu) et Maradona s’offre trois buts. L’année suivante, le Napoli s’offre un nouveau titre de champion d’Italie devant le grand Milan AC de Baresi, Maldini, Gullit et Van Basten qui remporte la C1 et l’Inter du trio allemand Brehme-Matthaus-Klinsmann. Le niveau du championnat s’avère exceptionnellement relevé cette année-là puisque la Juventus, quatrième, remporte la Coupe UEFA, et que la Sampdoria se voit sacrée en Coupe des Coupes. Avec 16 réalisations, Maradona finit troisième meilleur buteur de Serie A, alors sans doute le meilleur championnat au monde, derrière Van Basten et Baggio mais devant Schilacci, Völler, Klinsmann, Careca, Mancini et Vialli.


Maradona compte plus de 100 buts avec le Napoli et 34 en 91 sélections avec l’Argentine, mais contrairement à d’autres joueurs, il ne doit pas être jugé uniquement sur ses statistiques. On se souvient avant tout de Maradona pour ses coups de patte géniaux, son sens aiguisé du dribble qui rendait fou ses adversaires et qu’accentuait son centre de gravité placé très bas, ses coups francs improbables, ses corners directs, ses passes lumineuses de filou comme celle pour Caniggia contre le Brésil en 1990, ses accélérations soudaines qui cassaient les reins de ses chiens de garde, son incroyable aisance avec le ballon dont il faisait à peu près ce qu’il voulait (ses échauffements avec le Napoli tenaient du véritable numéro de cirque). Techniquement, le pibe de oro, qui faisait déjà fantasmer toute l’Argentine à seize piges, était un véritable phénomène qui pouvait décider du sort d’un match à lui tout seul. Ce n’était ni un vrai meneur de jeu stratège ou gestionnaire, une tradition dans laquelle s’inscriraient plutôt des joueurs comme Ortega ou Riquelme, ni un goleador en chef comme pouvaient l’être Kempes ou Batistuta, mais un électron libre totalement incontrôlable, une sorte de deus ex machina, un être surnaturellement doué descendu sur Terre pour expliquer le football aux simple mortels, une sorte d’aberration de la nature, un monstre de foire. A priori, Maradona n’avait rien pour lui : ni la vitesse pure d’un Messi, ni la puissance physique d’un Pelé, ni la silhouette longiligne voire malingre d’un Cruyff ou d’un Platini, ni le charisme naturel d’un Beckenbauer, ni la fluidité gestuelle d’un Zidane. Du haut de son 1,65m, il dominait le monde par la seule magie d’un pied gauche inégalé, qui faisait de cet homoncule un véritable roi, un demi-dieu des stades, un nain charismatique. Il est le chaînon manquant entre Puskas, le major galopant et bedonnant, et Hagi, surnommé à bon escient « le Maradona des Carpates ».


Si Maradona reste aussi unique dans l’imaginaire collectif, c’est que contrairement aux autres légendes du football, il a su faire gagner ses équipes quasiment à lui seul. Pelé avait Didi, Vava, Garrincha, Rivelino et Jairzinho, Cruyff pouvait compter sur Krol, Neeskens et Rensenbrink, Beckenbauer jouait aux côtés de Maier et Müller, Zidane a toujours été extraordinairement bien entouré en club et en sélection, tout comme Platini, Ronaldo était associé à Romario, Ronaldinho et Rivaldo, Messi secondé par Xavi, Iniesta, Neymar, Suarez, Henry et Eto’o au Barça. Quand l’Argentine remporte la Coupe du Monde en 1986, Maradona ne peut s’appuyer que sur Valdano, auteur de trois buts, et Burruchaga, buteur à deux reprises. Qui se souvient des Giusti, Batista, Cuciuffo, Olarticoechea et autres Enrique ? Peut-être le Brésil l’aurait-il emporté en 1958, 1962 et 1970 sans Pelé. Peut-être l’Allemagne aurait-elle gagné sa Coupe du Monde à la maison sans Beckenbauer. Peut-être la France aurait-elle triomphé à Saint-Denis sans Zidane. Mais jamais l’Albiceleste n’aurait pu être sacrée sans un Maradona hors normes et décisif qui a littéralement porté son équipe sur ses épaules et rendu son amour démesuré à tout un peuple.


Il en est de même un Naples, un club qui se traîne en fond de classement lorsqu’il le rejoint en 1984 et dont on se demande encore comment il a pu attirer le meilleur joueur du monde de l’époque. Parmi les joueurs marquants de la saison 1984-85, on ne se souvient guère que de Ciro Ferrara, international italien qui a passé plus de dix ans à la Juventus, et de Daniele Bertoni, sélectionné à 31 reprises avec l’Argentine. En 1987, Maradona emmène le Napoli jusqu’au titre entouré de joueurs aussi obscurs que Garella, Bruscolotti, Renica, Bagni, le bien nommé De Napoli, Giordano ou Carnevale. Cette même année, l’attaquant brésilien Careca signe à Naples et viendra par la suite épauler Diego en marquant plus de cinquante buts entre 1987 et 1990, avant que son compatriote Alemao ne le rejoigne en 1988. Mais gagner un titre au nez et à la barbe du grand Milan AC d’Arrigo Sacchi, de la Juventus championne d’Europe en 1985 et de l’Inter des futurs champions du monde allemands reste un exploit majeur qui aurait été impossible sans Maradona, l’homme qui a redonné sa fierté à Naples la déshéritée et réussi à mener le SSC Napoli jusqu’aux plus hauts sommets européens (il faut savoir qu’à l’époque la Coupe UEFA était certainement plus difficile à gagner que la Coupe d’Europe des Clubs Champions et qu’on 1988-89 on pouvait trouver sur la ligne de départ des équipes comme le Bayern, la Juventus, l’Inter ou Benfica). Il est simplement dommage que Maradona et les siens se soient faits sortir de la C1 dès les seizièmes de finale par le Real en 1987-88 et par le Spartak Moscou en huitièmes en 1990-91


Comme George Best avant lui (« J’ai dépensé quasiment tout mon argent en femmes et en alcool. Le reste, je l’ai gâché »), Diego, libre dans sa tête, a vécu une vie digne des plus grandes rock stars qui a forgé son mythe. Adulé comme un enfant roi dès son adolescence passée à Argentinos Juniors et Boca, prodige annoncé transféré pour une somme record à Barcelone puis à Naples où il fait l’objet d’un culte mystique, Maradona a passé ses années napolitaines le nez dans la cocaïne, entre deux fêtes mémorables et deux aventures extra-conjugales qui lui laisseront quelques enfants illégitimes. Il met le doigt dans l’engrenage de la came à Barcelone dès 1982 et découvre la poudre blanche dans le monde interlope de la nuit catalane avec lequel il s’acoquine suite à une vilaine blessure infligée par Goicoetxea qui le tient longtemps éloigné des terrains. Par la suite, la Camorra le fournit en substances illicites et fait en sorte qu’il passe entre les gouttes lors des contrôles anti-dopage, jusqu’à ce que l’Argentine élimine l’Italie de son Mondiale à Naples en 1990, moment critique où la pègre choisit de lâcher Maradona, qui est contrôlé positif à la cocaïne et écope d’une suspension de quinze mois en 1991. En 1994, lors de la World Cup américaine, il marque contre la Grèce avant d’être pris pour usage d’éphédrine, bien qu’un cocktail explosif de cinq produits différents soit retrouvé dans son test.


En 2000, Maradona connaît sa première attaque cardiovasculaire et effectue une cure de désintoxication à Cuba. En 2004, longtemps après avoir raccroché les crampons, mais toujours accro à la blanche, il est victime d’un malaise cardiaque le laissant à la limite de la mort. Disant alors ne plus toucher à la drogue, il sombre dans l’alcool et la boulimie et est à nouveau hospitalisé en 2007. Entre 2014 et 2019, il subit trois hospitalisations pour des calculs rénaux et un saignement de l’estomac. Le 25 novembre 2020, Diego Armando Maradona meurt d’un arrêt cardiaque à son domicile de Tigre, dans la banlieue de Buenos Aires. Trois jours de deuil national sont décrétés par le gouvernement argentin immédiatement après l’annonce de sa mort et le président du Napoli Aurelio De Laurentiis ainsi que la ville de Naples proclament que le Stade San Paolo sera renommé Stade Diego Armando Maradona. A soixante ans, Maradona s’en va comme un Icare qui a volé trop près du soleil, un ange déchu qui s’est brûlé au soleil de la gloire, un enfant qui n’a jamais su grandir loin de sa balle ronde chérie, un prince trop gâté pourri par son goût pour les femmes, la fête, la came et la picole, un homme à la sensibilité à fleur de peau qui a payé la rançon de la célébrité. Il nous laisse orphelins du plus grand joueur de football que le monde ait connu.



 


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