Pour Lacazette et Barcola à l'Euro

Alors que tous les postes (ou presque, puisqu’apparemment personne n’est capable de remplacer Griezmann au milieu) sont doublés en équipe de France, celui d’avant-centre est sans doute celui qui suscite le plus d’interrogations en vue du prochain Euro. Olivier Giroud, meilleur buteur de l’histoire des Bleus et encore performant avec le Milan cette saison, a signé en MLS et s’approche tranquillement de la fin. Marcus Thuram, recentré dans l’axe par Inzaghi à l’Inter, sort d’une année plutôt satisfaisante en club mais n’a marqué que deux fois en 18 sélections. Enfin, Randal Kolo Muani, qui a certes marqué des points en amical face au Chili, a aligné comme des perles les prestations cataclysmiques avec le PSG, même contre des adversaires modestes comme Le Havre (en outre, il n’a marqué qu’un but en neuf matches de Champions League). Dans ce contexte, pourquoi se priver d’un élément aussi brillant qu’Alexandre Lacazette, qui reste sur 43 pions en deux exercices avec l’OL et est récemment sorti sous les ovations du Groupama Stadium après avoir martyrisé la défense monégasque ? Deschamps évoque la « concurrence » pour expliquer l’absence du buteur lyonnais et assure qu’il ne s’agit pas d’une question d’âge puisque Giroud est toujours sélectionné, mais de quelle « concurrence » parle-t-on au juste ? Giroud demeure indiscutable de par son passé en bleu et sa réussite lors des grands tournois (quatre pions au Qatar en 2022), mais Lacazette mérite-t-il vraiment de passer derrière Thuram et Kolo Muani, qui n’ont strictement rien prouvé au plus haut niveau ? Certainement pas.

On le sait, Deschamps ne jure que par les « grands clubs » et le « haut niveau », et Lacazette paie sans doute le fait de jouer à l’OL, un club qui a longtemps occupé la dernière place du classement avant d’opérer une spectaculaire remontée et n’a joué aucune Coupe d’Europe cette année. Certes, mais pourquoi alors aller chercher un Kolo Muani qui évoluait à ses débuts en bleu sous les couleurs de l’Eintracht Francfort, mastodonte européen s’il en est ? Deschamps va-t-il sélectionner l’ancien Nantais jusqu’à la fin des temps sur la foi de deux bonnes entrées en jeu face au Maroc et l’Argentine en Coupe du Monde (et encore, aurions-nous presque envie de dire, heureusement qu’il ne plante pas le but du titre parce qu’il aurait signé en bleu à perpétuité) ? Thuram et RKM seraient-ils capables de planter 25 pions sur une saison de Ligue 1 avec un club aussi moyen que l’OL (Kolo Muani, même s’il a rarement été titularisé par Luis Enrique, n’a marqué que six buts en Ligue 1, soit deux fois moins que Gonçalo Ramos) ? Et il n’y pas que les statistiques qui plaident en faveur de Lacazette. Il s’agit d’un véritable avant-centre, contrairement à Thuram et RKM qui sont des ailiers recentrés, capable d’évoluer dos au but, de faire remonter le bloc, de faire jouer les autres autour de lui, aussi à l’aise en contre que sur attaque placée, alors que ses deux « concurrents » ont le plus souvent besoin d’espace pour s’exprimer. De par sa capacité à jouer en pivot et la qualité de son jeu en remise, ainsi évidemment que son profil rare de chasseur de buts, Lacazette s’impose comme une vraie alternative à Giroud, qu’il pourrait suppléer en fin de match. Si l’âge n’entre pas en ligne de compte et qu’il ne s’agit pas de préparer l’avenir mais bien d’aligner la sélection la plus compétitive possible pour le tournoi allemand, la logique voudrait qu’il soit sélectionné.

Le cas de Bradley Barcola, qui n’a qu’une saison et demie parmi l’élite dans les jambes, est radicalement différent, mais l’ancien Lyonnais n’en mérite pas moins de figurer dans le groupe pour l’Allemagne. Alors que beaucoup se demandaient pourquoi le PSG avait sorti le chéquier pour un gamin de vingt ans qui n’avait signé que six bons mois avec l’OL, le natif de Villeurbanne, très critiqué après ses nombreuses occasions manquées face à Newcastle, a fini par convaincre son entraîneur et par mettre tout le monde d’accord. On ne l’attendait pas forcément aussi brillant sur la scène continentale, mais Barcola a planté contre la Real Sociedad au Parc avant de donner le tournis à la défense barcelonaise lors du quart de finale retour, provoquant l’expulsion d’Araujo, délivrant le centre pour l’égalisation de Dembélé et se montrant dangereux et incisif sur chacune de ses prises de balle. Après s’être montré à son avantage en championnat notamment face à Nantes et Lens, il a franchi un palier en faisant des différences monstrueuses en Champions League, une compétition dans laquelle il a acquis le statut de titulaire (même s’il faut ce méfier de ce terme avec Luis Enrique) et est clairement passé devant Kolo Muani dans la hiérarchie des attaquants. Au sein d’une équipe de France qui manque souvent de folie, de spontanéité et de justesse dans la dernière passe, sa fraîcheur, son insouciance et sa faculté à provoquer constamment balle au pied pourraient faire un bien fou. Nul besoin d’avoir un vécu international pour briller lors d’une grande compétition, comme l’a par exemple prouvé Ribéry, auteur de son premier but en sélection en huitièmes de finale face à l’Espagne en 2006. Il s’agit simplement de s’appuyer sur des joueurs en confiance qui ont le vent en poupe, et non des peintres qui ont planté contre le Torino, l'Udinese, Rennes ou Nantes.

On va nous rétorquer qu’il faut penser en termes de complémentarité, que Barcola joue à gauche dans la zone préférentielle de Mbappé, que Thuram et Kolo Muani peuvent évoluer sur les côtés et que Lacazette se positionne le plus souvent en pointe d’un 4-2-3-1 qui n’a rien de commun avec le traditionnel 4-3-3 à la sauce Deschamps. Et bien sachez, messieurs les censeurs, que votre complémentarité, on s’en bat royalement les reins, parce que les bons joueurs dotés d’un QI football supérieur à la température ambiante savent quoi qu’il arrive jouer ensemble, quelle que soit leur place et leur fonction sur le terrain. Que l’on sache, Giresse, Tigana, Genghini et Platini ne se marchaient pas sur les arpions (quatre milieux offensifs alignés ensemble, God bless Hidalgo, nous ne sommes pas prêts de revoir ça), Zidane et Djorkaeff tiraient la machine dans le même sens, Pirlo, Seedorf et Kaka partageaient joyeusement la chique et la MSN a claqué plus de 300 buts pour le Barça. Mis à part ces considérations tactiques, peut-on raisonnablement penser une seconde qu’un Marcus Thuram représente une solution crédible au poste d’avant-centre dans le cadre d’un tournoi majeur ? Qu’un Kolo Muani qui a moins planté que Vitinha et cire le banc du PSG mérite de jouer l’Euro ? Qu’on peut décemment laisser à la maison un type qui pèse plus de 180 buts en club avec Lyon et Arsenal ? Qu’il ne vaudrait pas mieux logiquement aligner une attaque Barcola-Mbappé-Dembélé avec Giroud et Lacazette en réserve de la république ? En tous les cas, on peut faire confiance à Deschamps pour nous convoquer tranquillement Thuram et Kolo Muani au nom du sacro-saint groupe. Qui, rassurez-vous, vit bien.