Pogba vaut-il autant d'argent? Pogba est-il surcoté? A quelle place doit jouer Pogba chez les Bleus? Attend-on trop de Pogba? Autant de questions que l'on peut régulièrement lire ou entendre dans les médias spécialisés ou non (peut-on vraiment considérer L'Equipe 21 comme une chaîne de spécialistes?) et auxquelles nous allons tenter de répondre avec l'objectivité et le recul qui caractérisent la présente gazette. Nous ne remettrons pas ici la valeur du joueur comme beaucoup le font. Paul Pogba est un excellent joueur de de 23 ans, qui s'est imposé à la Juventus et y a montré de fort jolies choses, remporté quatre fois le championnat d'Italie, disputé une finale de Champions League et une finale d'Euro. A son âge, son parcours est déjà remarquable, et il peut s'appuyer sur une expérience conséquente des grands rendez-vous. N'oublions pas que c'est un certain Antonio Conte, qu'on peut difficilement taxer d'incompétence tactique, qui l'avait installé dans le onze alors qu'il avait à peine vingt ans, et que les performances du Français ne lui ont jamais donné matière à regretter son choix. Que ce soit avec Conte ou Allegri, Pogba était un joueur important à la Juve, ce qui n'est déjà pas donné à tout le monde.
Ceux qui considèrent Pogba comme un joueur surcoté le font parce qu'ils s'appuient sur le prix exorbitant de son transfert, alors que l'on sait précisément que les montants posés aujourd'hui par les clubs, particulièrement de Premier League, sont devenus tout simplement aberrants. Il n'existe quasiment plus aucun rapport rationnel entre la valeur d'un joueur et son prix, et Pogba n'est pas coupable des délires du marché. Cinq ans en arrière, United aura peut-être posé cinquante millions sur la table, et personne n'y aurait trouvé à redire (et en tous les cas cela n'aurait pas donné du grain à moudre à ceux qui prennent un malin plaisir à le critiquer à longueur de temps). Comme nous l'avons dit plus haut, il est inexact de dire que le club mancunien s'est fendu d'un énorme chèque pour un joueur qui n'a encore rien prouvé. Claquer cent millions pour un jeune international qui compte 40 sélections au compteur et possède encore une sacrée marge de progression n'est pas plus dingue que d'en mettre presque autant Higuain ou d'en miser quarante sur Batshuayi, qui n'a qu'une saison correcte en Ligue 1 derrière lui. Poser le prix d'un transfert comme base du débat dans le contexte actuel revient à le fausser d'entrer puisque le football est devenu fou.
En équipe de France, on
voudrait que Pogba fasse du Zidane, qu'il prenne le match à son
compte, oriente la manœuvre, donne le tempo, fournisse de bons
ballons aux attaquants. Pourquoi ressent-on toujours ce besoin de
faire des comparaisons ? Le nouveau ceci, le nouveau cela,
jusqu'au ridicule. Grizemann possède son style très personnel, fait
de finesse et de subtilité techniques, de vitesse, d'habileté, et
personne n'a jamais cherché à le comparer à qui que ce soit. De la
même façon, Pogba possède ses propres qualités, qui sont
évidentes : densité physique, qualité de passe, puissance de
frappe, aisance balle au pied, polyvalence, points forts qui donnent
à l'arrivée un joueur presque hors normes, en-dehors des canons et
des cadres, ce qui constitue une partie du problème. Ce qui est sûr
et certain, c'est que Pogba n'est pas un meneur de jeu à l'ancienne
et qu'il serait par exemple absurde de le placer juste derrière les
deux attaquants dans un 4-3-1-2. Une fois qu'on aura compris qu'on ne
peut pas donner les clés de la boutique à Pogba (contrairement à
un Payet, qui dans un bon jour peut prendre les rênes de l'équipe),
on aura déjà fait beaucoup de chemin.
A juste titre, Deschamps
ne le considère que comme un membre de son trident du milieu. Peu
importe si c'est à droite ou à gauche, Pogba doit se montrer
complémentaire de Kanté et Matuidi ou Sissoko, ce qui ne veut pas
dire qu'il doit inventer quelque chose de génial sur chaque action.
Il doit faire sa part de boulot à la récupération, chercher à
jouer simple et proprement et tout bonnement laisser le jeu venir à
lui. Les rôles de ses deux partenaires sont plus clairement
définis : Kanté doit gratter et assurer une bonne première
passe, tandis que Sissoko ou Matuidi doivent boucler leur côté tout
en se projetant vers l'avant dès que possible. Il est très clair
que Pogba a beaucoup de mal à se situer dans le 4-3-3, ce qui est
fort compréhensible, mais la solution ne consiste certainement pas à
le faire jouer un cran plus haut. Pourquoi, comme le suggérait Paul
Le Guen, ne pas en faire un vrai numéro 6, et l'installer aux côtés
de Kanté dans un 4-2-2-2 ? Il pourrait pleinement faire parler
sa puissance, son impact dans les duels, sa qualité de transmission
et évoluer dans un registre simple sans chercher à en faire des
caisses à chaque ballon joué. Si l'on persiste avec ce 4-3-3, il
est possible qu'on ne tire jamais le meilleur de Pogba en bleu.
Il va être intéressant
de voir comment un fin tacticien comme Mourinho va utiliser le
Français. Pour ses premiers matches, il a joué plutôt haut sur le
terrain, mais les choses pourraient évoluer, et l'on sait que le
Portugais teste souvent des systèmes différents et aime
«réinventer » des joueurs en les installant dans un rôle
nouveau. Pogba n'a pas besoin d'être systématiquement décisif
comme il cherche trop à le faire, mais simplement savoir comment
jouer et s'installer dans des fonctions qui lui permettent d'être
essentiel voire indispensable à son équipe. Il ne fait absolument
aucun doute qu'il peut devenir un joueur extraordinaire et l'un des
tout meilleurs milieux de terrain du monde. En revenant à United, il
n'a pas choisi la facilité. Rester à la Juve, c'était une place de
titulaire attitrée, le titre presque assuré tous les ans, une
participation à la Champions League avec de solides chances de bien
y figurer, mais Pogba peut se construire avec un United en
reconstruction. En Premier League, son côté « box to box »
s'exprimera plus facilement et il devrait progresser tactiquement et
gagner en rigueur avec Mourinho. Il aura le poids de son transfert
sur les épaules, mais d'autres jeunes Français, comme Martial, ont
montré la voie. A lui de se trouver et de devenir le grand joueur
qu'on attend qu'il soit.
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