
En quatre saisons sous le maillot de la Vieille Dame, le Divin Codino a
empilé une centaine de pions, dépoussiéré une paire de lucarnes sur
coup franc et écoeuré bon nombre de gardes du corps sur les pelouses
européennes (ainsi, accessoirement, que les supporters parisiens en
demies-finale de feu la Coupe UEFA 1993). A l'heure d'attaquer la
compétition, Arrigo Sacchi compte sur l'imperméabilité de sa défense
milanaise et les coups de génie de son attaquant vedette pour ramener le
trophée à la maison et effacer la douleur de la demie-finale perdue aux
tirs aux buts face à l'Argentine à Naples en 1990.
Comme
à son habitude, la Squadra Azzura se prend les pieds dans le tapis pour
son premier match et s'incline face à l'Irlande sur un but de Ray
Houghton dans un Giants Stadium surchauffé de communautarisme. Baggio
traverse le match comme un fantôme. Face à la Norvège, le gardien
Pagliuca est expulsé dès la vingtième minute, et c'est Roby que le
sélectionneur choisit de faire sortir pour faire rentrer Marchegiani, à
l'incompréhension totale de la star. Le début d'une grande histoire
d'amour entre les deux hommes.
A
partir des huitièmes, Baggio, totalement à côté de ses pompes depuis le
début du tournoi, décide de prendre les choses en main et enfile le
costume de sauveur d'une équipe qui prend un malin plaisir tour après
tour à renverser les matches et revenir d'entre les morts, au point de
se mettre à croire en un destin tracé d'avance. C'est d'abord le Nigeria
d'Okocha, Finidi et Oliseh qui croit avoir la peau des Italiens, une
nouvelle fois réduits à dix après l'expulsion de Zola (Gianfranco, lutin
napolitain), avant que Jésus Baggio n'égalise d'un amour de frappe à
ras de terre à la 88ème puis terrasse les insolents sur penalty en
prolongations.
En
quarts, l'infortuné Julio Salinas rate la balle de la gagne pour
l'Espagne à cinq minutes du terme alors que le score est de 1-1, et dès
lors, la punition est inéluctable: contre-attaque mortelle, petit ballon
de Signori pour devinez qui qui élimine le très éliminable Zubizarreta
et marque à la 87ème. Contre la Bulgarie de Stoïchkov, Baggio signe un
chef d'oeuvre de match et qualifie les siens en trois minutes sur deux
actions de grande classe en première mi-temps.
Beaucoup
se disent alors que le titre ne peut plus échapper à une Squadra à la
fois protégée par une baraka à la limite du surnaturel et emmenée par un
Ballon d'Or qui marche
sur l'eau et ne fait que monter en puissance depuis le début du
tournoi. D'autant plus que l'adversaire brésilien en finale a été loin
de se montrer toujours inspiré et a développé un jeu contre-nature et
sécuritaire qui lui confère un profil de victime idéale.
On
connaît la suite. Après les tentatives ratées de Baresi et Massaro,
Baggio expédie le cuir au-dessus de la transversale de Taffarel et offre
une quatrième étoile au Brésil. Au bout du compte, le destin se sera
bien amusé avec le Juventino, tour à tour talent aux abonnés absents,
buteur providentiel (fait exceptionnel, il signe ses cinq réalisations
entre les huitièmes et la demie) et héros malheureux. Même si le
football regorge de coups de poignards et de récits cruels, il est rare
qu'un joueur connaisse une trajectoire aussi sinusoïdale au cours d'un
seul et même tournoi. Marqué par cet échec et harcelé par les blessures,
il traversera par la suite trois saisons marquées par la conquête de
ses premiers Scudetti mais difficiles sur le plan personnel, avant de
renaître contre toute attente sous le maillot de Bologne (22 buts en
championnat en 1997-98) et de gagner son billet pour la France. Entre
lui et David Bowie, difficile de dire lequel a connu plus de vies.



Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire