post-labels {display: none}

dimanche 17 octobre 2010

Argentine-Roumanie 94: la vague jaune

De l'avis de tous, qui ne manquent jamais une occasion de la ramener, la World Cup américaine fut plutôt une réussite sur le plan du jeu et une édition tournée vers l'offensive (2,7 buts par match contre 2,3 en Afrique du Sud par exemple) malgré une finale verrouillée et vierge de toute réalisation. Le tournoi est bien sûr marqué par le parcours étonnant des deux adversaires de la France dans son groupe de qualifications, la Bulgarie et la Suède, qui parviennent contre toute attente à se hisser dans le dernier carré, et par les exploits répétés du duo Romario-Bebeto, auteur de huit buts.


Deux quarts de finale restent particulièrement dans les mémoires: la victoire des potes de Tryphon sur l'Allemagne et le fameux coup de boule de Letchkov, qui a fait hurler dans les chaumières, ainsi que la qualification au forceps du Brésil face au Pays-Bas sur un coup-franc du vétéran Branco qui remplaçait Leonardo, suspendu. Mais le véritable sommet de jeu de la compétition fut peut-être le huitième de finale entre l'Argentine et la Roumanie, disputé le 3 juillet 1994 au Rose Bowl de Pasadena devant 90 000 veinards.

Les Roumains, emmenés par un Gheorge Hagi rondouillard et au sommet de son art, ont terminé en tête de leur groupe en tapant d'entrée les épouvantails colombiens et en battant les Ricains chez eux. Raducioiu, serial buteur en qualifications, met la chique au fond (doublé contre la Colombie), Hagi donne le tempo, Dumitrescu régale et Petrescu cavale: tous les voyants seraient au vert pour la sélection roumaine si elle n'avait pas pris une inexplicable rouste face à la Suisse de l'inoubliable Alain Sutter lors du deuxième match (1-4) qui a laissé entrevoir la propension de l'équipe à lâcher mentalement. Bref, fidèle à leur tradition d'imprévisibilité, ils ont du ballon à revendre mais il faut que la tronche suive.

Côté argentin, la suspension de Maradona après son fameux "but du coeur" a évidemment plombé l'ambiance. L'Albiceleste, comme l'Italie, ne se qualifie que parmi les meilleurs troisièmes après une inquiétante défaite face à la Bulgarie marquée par la perte de Caniggia sur blessure. Se coltiner la Roumanie en huitièmes ne ressemble pas franchement à un cadeau.

Bizarrement, le sélectionneur roumain Anghel Iordanescu (vainqueur de la C1 avec le Steaua en 1986) décide de se passer des services de Raducioiu pour se match, préférant densifier son milieu et miser sur la vitesse de Munteanu ou Dumitrescu en contre et l'apport offensif de ses latéraux. Avec Prodan, Belodedici et l'emblématique Popescu, la Roumanie aligne trois défenseurs centraux de métier. Iordanescu mise sur la vivacité naturelle de ses joueurs (à l'exception d'Hagi of course) mais se méfie également d'un axe Redondo-Ortega-Batistuta qui n'a pas beaucoup d'équivalents dans le monde. Alfio Basile fait confiance à Abel Balbo, auteur de douze buts en Serie A avec la Roma, pour pallier l'absence de Caniggia, et peut toujours compter sur les poètes Chamot, Ruggeri et Simeone pour s'occuper de près des chevilles adverses.

Le début de match donne lieu à l'opposition de styles annoncée: l'Argentine tient la balle et s'échigne patiemment à redoubler les passes pour trouver la faille dans le bloc roumain, qui malgré tout se positionne haut et joue tous les coups à fond. Dumitrescu ouvre le score dès la 11ème minute sur un coup franc excentré digne d'Hagi avant que Batistuta ne transforme cinq minutes plus tard un penalty qu'il a lui-même obtenu sur un enchaînement de roublard au coin de la surface. Le deuxième but roumain est une pure merveille de contre: tacle dans les pieds de Redondo, sortie de balle à une touche, temporisation de Hagi qui trouve le une-deux avec Dumitrescu avant de retrouver son attaquant au premier poteau sur une passe magnifique dans le dos de la défense. Un des plus beaux pions du tournoi.

Les jaunes défendent superbement bien, frustrent l'attaque argentine et placent un nouveau coup de poignard à la 58ème sur une contre-attaque menée de main de maître par un Dumitrescu en état de grâce et conclue par Hagi. Le but opportuniste de Balbo sur une boulette de Prunea n'y changera rien et l'Argentine ne verra pas les quarts de finale.

L'équipe roumaine, dont le plan fonctionne à la perfection, offre ce jour-là un rare concentré de brillance technique, d'intelligence tactique et de maîtrise collective qui bluffe totalement le public et les observateurs. Elle chutera pourtant au tour suivant face à la Suède de Thomas Ravelli, au terme d'une nouvelle rencontre de toute beauté (2-2, 5 tirs aux buts à 4) au cours de laquelle Raducioiu s'offre un autre doublé. Ses joueurs, qui ont régalé leur monde pendant trois semaines et signé le plus beau parcours de leur pays en Coupe du Monde, profiteront de la vitrine offerte pour signer chez quelques gros calibres européens: Dumitrescu rejoindra Tottenham pour un bilan plus que mitigé (18 matches, 4 buts), Petrescu passera cinq belles années à Chelsea de 1995 à 2000, Popescu et Hagi seront d'éphémères coéquipiers sous le maillot du Barça. Mais aucun des membres de cette remarquable équipe ne brillera véritablement sur le plan individuel en club, à l'image de Raducioiu qui traînera sa misère de West Ham à Brescia. Ces joueurs-là étaient fait pour jouer ensemble, au sein d'une sélection dont la valeur s'élevait à bien plus que la simple addition de talents.


3 juillet 1994, Rose Bowl de Pasadena: Roumanie 3 - Argentine 2
Buts: Dumitrescu (11, 18), Hagi (58), Batistuta (16sp), Balbo (75)
 Roumanie: Prunea - Petrescu - Prodan - Belodedici - Lupescu - Popescu - Munteanu - Selymes - Mihali - Hagi (Galca 86) - Dumitrescu (Papura 89)
 Argentine: Islas - Chamot - Sensini (Medina Bello 63) - Ruggeri - Caceres - Basualdo - Redondo  - Simeone - Ortega - Balbo - Batistuta




















1 commentaire: