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jeudi 19 juin 2014

Sic transit gloria mundi

L'élimination de l'Espagne constitue assurément un des faits majeurs de ce Mondial, mais aussi un épisode marquant de l'histoire du football. Beaucoup se demandaient quand l'hégémonie ibérique s'arrêterait, et à vrai dire pressentaient plus ou moins nettement que le rendez-vous brésilien était celui de tous les dangers pour la Roja. De là à l'imaginer sortie dès le deuxième match, humiliée par les Pays-Bas, surclassée par le Chili, complètement perdue et sans réaction après sept buts encaissés en trois mi-temps, il y avait un gouffre. Au sens premier du terme, cette Coupe du Monde est un désastre pour l'Espagne, qui laisse donc son trône vacant et contribue à rendre l'issue du tournoi plus incertaine encore.


C'est à croire que les dynasties régnantes mettent un point d'honneur à s'effondrer avec fracas, comme si leur chute devait être à la hauteur de leur domination. En 2002, l'équipe de France, championne du monde et d'Europe en titre, avait elle aussi pris la lourde dès le premier tour, battue par des adversaires plus faibles que ceux que s'est coltinée l'Espagne, et sans marquer le moindre pion en trois matches. En 1966, le Brésil, double tenant du tire, termina troisième de sa poule derrière le Portugal et la Hongrie, essentiellement à cause du traitement de faveur que l'opposition réserva à Pelé. Seul exception notable; la RFA (évidemment, serait-on tenté de dire), qui après ses sacres de 1972 et 1974, atteignit la finale de l'Euro 1976, battue aux tirs aux buts par la Tchécoslovaquie de Panenka (oui, bande d'ignares nourris au christianjeanpierrisme, les Tchèques figurent bien au palmarès du championnat d'Europe, comme quoi cela ne vous fait pas de mal de réviser un brin vos classiques). 


Au cours de ses deux matches, l'Espagne fut simplement méconnaissable, incapable de conserver la chique, d'installer comme à son habitude le jeu dans le camp adverse et de presser haut. A l'image d'un Xabi Alonso totalement à côté de ses pompes, le milieu espagnol a cessé d'être une machine à récupérer et rendre les ballons propres, tandis que la défense a multiplié les erreurs et les signe de fébrilité. 

Malgré les brillants états de service du buteur de l'Atletico, la titularisation de Diego Costa ne fut sans doute pas une brillante idée, tant l'avant-centre a paru emprunté et peu à l'aise au sein d'une équipe qui, en prime, semble opposée à l'idée-même du centre aérien. Fin de saison bien cruelle pour le pichichi de la Liga, blessé lors du choc décisif face au Barça, sorti au bout de dix minutes en finale de Champions League et éliminé du Mondial dans le pays qui l'a vu naître.


Les haters de la Roja et autres dénigreurs du tiki-taka vont maintenant pouvoir s'en donner à coeur joie, expulser une rage contenue pendant six longues années, exiger la démission de Guardiola du Bayern, jouer aux fléchettes sur la tête d'Iniesta, brûler le maillot de Xavi, fabriquer des culbutos de Del Bosque, clouer San Iker sur la croix et traiter Busquets de tous les noms. Nous ne serons pas de ceux-là.

L'Espagne s'est hissée au sommet en proposant une conception véritablement révolutionnaire du jeu, tantôt enthousiasmante, tantôt restrictive, souvent séduisante. Depuis 2008, elle a fait preuve d'une force mentale et d'une capacité de résistance à la pression hors du commun, attendue partout et toujours le couteau entre les dents. Davantage peut-être que Robben ou Vargas, c'est l'usure et le poids des titres qui ont fini par avoir sa peau.

La chute de la maison espagnole ne doit en aucun cas occulter la remarquable prestation collective de l'équipe chilienne, mélange typiquement sud-américain d'agressivité, de technique, d'intelligence tactique et de vitesse (quelle autre équipe ose aligner un défenseur central d'1,70m?). Sans relâche, le milieu chilien a harcelé le porteur de balle telle une meute de chiens enragés, parvenant souvent à l'isoler de ses coéquipiers et couper les solutions de passe. Les joueurs de Sampaoli ont accumulé les jaillissements et les tacles autoritaires, gagné une multitude de duels et donné le sentiment d'avoir toujours un temps d'avance sur les Espagnols. Ils forment un bloc-équipe d'une cohérence et d'une homogénéité parfaites, dont les membres savent coulisser à propos, compenser, couvrir, anticiper. Tactiquement, ils ont frôlé le chef-d’œuvre.


Ne donnons cependant pas l'impression que le Chili n'a fait que défendre efficacement et détruire les dernières certitudes ibériques. Les partenaires de Vidal, une nouvelle fois monstrueux, passés pour certains par l'école Bielsa, ont développé quelques mouvements offensifs de grande classe, à l'image du premier but, petit bijou de justesse: ballon gratté par Sanchez pour Vidal, remise à l'intérieur du tatoué de la Juve, passe impeccable de Sanchez pour Aranguiz qui trouve Vargas en deux touches, crochet sur Casillas, pion, merci, bonsoir, jacuzzi, cognac et petites pépées. Redoutable par sa capacité à prendre la gonfle dans les pieds puis à se projeter vers l'avant en combinant à merveille, cette équipe sera un sacré client en huitièmes, où elle pourrait affronter le Brésil.

Côté Cameroun, on ne change pas une formule qui gagne et a fait ses preuves par le passé: on négocie les primes d'abord, on prend des bonnes grosses branlées ensuite. Les coéquipiers de Nkoulou ont offert un spectacle pitoyable face à la Croatie et largement pris la tête au classement de la débilité: carton rouge pour Song, auteur d'un coup de poing dans le dos de Mandzukic, début de bagarre entre Moukandjo et Assou-Ekotto, opération portes ouvertes en défense, je-m'en-foutisme et incompétence à tous les étages, le tout sous les yeux d'un Eto'o qui avait peut-être flairé le carnage. Entre l'Afrique du Sud et le Brésil, les Camerounais viennent d'aligner leur cinquième défaite consécutive en Coupe du Monde. Comparé à cette triste bande de touristes en claquettes, les Bleus de Knysna incarneraient presque une certaine idée du professionnalisme.

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