
On va nous resservir les sempiternelles images de types huileux jonglant sur la plage au milieu de jeunes cariocas callipyges sur fond de «Girl from Ipanema», de gamins aux pieds nus dribblant avec une boule de papier journal dans les rues déshéritées des favelas et du Christ de Corcovado veillant du haut de son python rocheux sur les destinées de la Seleçao. Pendant quelques semaines, le triptyque vert-jaune-bleu va envahir les écrans, les vitrines et les unes de la presse jusqu'à l’écœurement.

La bande à Socrates et Zico, extraordinairement talentueuse et victime d'un Paolo Rossi en état de grâce lors du Mondial 1982, fait également figure de référence quand il s'agit d'évoquer l'essence du jeu brésilien, inspiré, harmonieux et apparemment si facile. Plus près de nous (et surtout de toi, mon Dieu), des cadors comme Romario, Ronaldo, Kaka ou Ronaldinho ont perpétué la tradition.
Vouloir inscrire la
sélection bâtie par Scolari dans la lignée de ces illustres
devancières relève soit de l'incompétence soit de l'escroquerie
pure et simple. Soyons clairs: la Seleçao version 2014, qui dégage
à peu près autant de romantisme que l'Allemagne époque Effenberg
ou le dernier catalogue de La Redoute, est sans doute la plus laide
et la moins excitante jamais mise sur pied.
Au milieu, le
sélectionneur, pragmatique et réaliste (autrement dit adepte du
football de droite), s'est privé de quelques beaux techniciens pour
faire de la place aux tâcherons physico-physiques adaptés à ses
tristes conceptions tactiques (Paulinho, Ramires, Luiz Gustavo entre
autres génies de l'entrejeu). Le club le plus représenté dans sa
liste? Chelsea. Tout est dit. Devant, le Brésil comptera sur Fred,
ancien habitué de Gerland, et le dénommé Jô, dont les fans de
City ont pu se demander s'il s'agissait bien de ce même vendangeur
en série qu'on leur avait vendu pour un bon attaquant. Si l'on
excepte Neymar, à ranger dans la catégorie des solistes agaçants,
seul Oscar dispose a priori des qualités pour faire jouer les autres
et donner du liant à l'ensemble.

Ils sont pourtant un
paquet à serrer sérieusement les miches et à prier pour un sacre
du pays organisateur le 13 juillet prochain à Rio (au cas où vous
ne l'auriez pas encore compris, nous ne sommes pas de ceux-là). Une
élimination précoce du Brésil provoquerait une onde de choc et ne
manquerait pas de raviver les tensions causées par le coût
exorbitant du Mondial dans un pays qui manque d'écoles et
d'hôpitaux.
On imagine aisément que le gouvernement brésilien
risque de fort de vivre la compétition dans l'angoisse de l'émeute
populaire. Sepp Blatter, monsieur «mains propres et tête haute»,
qui vient d'admettre que confier la Coupe du Monde 2022 au Qatar
était sans doute une erreur (sans blague?), goûterait sans doute
moyennement de voir sa «fête du football», pour reprendre une
expression chère à Daniel Lauclair, gâchée par des images de
violence et de répression policière.

La pression qui pèse sur
les épaules des vingt-trois Brésiliens et du staff technique à
l'approche de la compétition est inimaginable, et on irait presque
jusqu'à dire que le fait de jouer à domicile représentait plutôt
un désavantage si, précisément, le contexte socio-politique ne
s'apparentait pas plus à un cocktail explosif qu'à une caïpirinha.
Parce que le Brésil aura les instances dirigeantes du football ainsi
qu'une bonne moitié de la planète derrière lui, il ne faudra pas
trop s'étonner si les auriverde bénéficient çà et là de
quelques largesses arbitrales. L'homme en noir risque de se retrouver
dans une situation semblable à celle de M. Craig Joubert lors de la
dernière finale de la Coupe du Monde de rugby, avec en prime, léger
détail, la possibilité qu'un coup de sifflet mette quasiment le
pays à feu et à sang.
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